jeudi 14 juillet 2011

Palermo, les derniers jours

Mardi I4 octobre 2003


Hôtel Atheneum, 8.30

La dernière chose que j'ai remarquée hier soir, c'est que même dans les toilettes de la réception, il y a un bidet. Quand je serai en retraite, je crois que j'entreprendrai une thèse de doctorat sur la tradition du bidet en Sicile. Et encore une dernière chose qui me troue le cul, c'est que, hein, c'est pas les boutiques de souvenirs de merde qui manquent, mais alors là, mystère, pas le moindre truc sur Popaul. Pas d'assiette, pas de chope à bière, pas de buste où il se tiendrait droit, pour une fois, même pas une petite carte postale, même pas des capotes à son effigie. Rien ! Nib I Zobi ! Les Siciliens peuvent pas le sacquer parce que c'est un Polak, ou quoi ? Ou alors ils attendent l 'enterrement pour sortir la camelote ?


* Dans le train, 9.30


Cette fois j'ai touché le jackpot. L'achat du ticket de train et celui de l'eau minérale, même accueil. On aurait dit qu'ils venaient juste d'apprendre qu'ils étaient cocus ou alors que le cancer de leur belle-mère était complètement maîtrisé. Oh mais ça me revient pour le Pape y'a vraiment pas de quoi s'étonner qu'on le voie pas dans les boutiques de souvenirs, Mussolini c'est pareil, on le trouve pas non plus en cartes postales.


Ce qui est bien dans le train c'est qu'on a le temps de réfléchir. J'ai esquissé le sujet l'autre jour chez les momies, avec les beaufs trucologues. Ici, je remarque, le christianisme comme on le pratique chez nous, on dirait que c'est pas tellement leur truc aux Siciliens. Ici on vit, on bouffe, on baise, on meurt et on s'en fout, on verra bien après. On va quand même à la messe mais juste par habitude et pour pas faire de la peine à la grand-mère. Et la mort on vit avec. Tout le temps. Tandis que chez nous, ça rigole nettement moins. Adam et Ève ils étaient avec leur feuille de vigne sur la zézette et le petit oiseau et puis voilà qu'elle a été tentée, cette idiote, par un serpent. Comment ça se fait que Dieu tout puissant tolérait la présence d'un serpent dans son jardin, on se le demande. Et alors pour les emmerder Dieu leu a dit qu'ils avaient péché. Du coup ils ont viré les feuilles de vigne, Ève à la place de la pomme elle s'est mise au concombre, et Adam à l'abricot. Et ça c'était pas tolérable, qu'ils ont considéré ces culs coincés de Chrétiens. Et la meilleure punition, eh bien ils ont décidé que ça serait la mort.


Ouaouh, c'est pas rien la religion. J'arrête pour pas choper le mal de tête. Ah, et puis c'est chiant la campagne c'est rien que de bourbiers avec des chemins qui mènent nulle part, comme disait Ferdinand Bardamu dans son Passage des Bérésinas. Bon alors putain vivement qu'on arrive.


* Dans le train 18.35


J'ai passé une joumée inoubliable. Tiens je vais commencer par la fin, ça fera plus original. Il y en a un d'écrivain, il vient de sortir une bio de Céline en faisant comme ça, en commençant par l'enterrement même que je l'ai dans mon sac, et alors ce que je crois c'est qu'il y en a tellement, de bios de Céline c'est qu'il a dû se dire qu'en faisant comme ça on verrait moins qu'il a copié sur les autres.


Oui, donc, la prochaine fois que je voudrai me suicider, je viendrai passer une heure à la gare d'Agrigente. Au bar, de préférence. Au point que j'étais au bord de me taper un Fernet-Brancat pour en finir avec la vie. Je sais bien, il y a de l'alcool dedans mais j'en ai goûté, une fois, pour voir, et pour moi c'est un peu comme les médicaments qu'ils donnent les toubibs aux alcoolos graves et qui vous rendent malades à crever pendant trois jours dès que vous avalez une gorgée de bière.


Le Fernet-Branca en somme, c'est de l'alcool, mais c'est aussi un médicament qui vous dégoûte de l'alcool. De toute façon j'en ai même pas pris. Il y a un truc aussi qui m'énerve dans les bars, c'est qu'il faut payer à la caisse avant de commander un café. La confiance règne, visiblement entre le personnel et la direction. Sans doute que si le client payait directement au garçon, l'autre il se foutrait le pognon dans la poche et le patron en moins d’un mois, il aurait plus qu'à aller s'inscrire au chômage.

Sinon tutto normale. Le seul et unique composteur du quai est en panne. Le numéro du quai est affiché pour le train de demain matin, mais pas pour le mien. La routine, quoi. Alors maintenant allons-y, flashback comme dans Citizen Kane.

Donc pour aller voir les temples j'ai pris les lignes régulières. Aucun mérite vu qu'il y a pas d'autre moyen. Trois Marlboro d'attente à l'aller et six au retour. C'est qu’à l'aller ça descend, au retour ça monte. Donc le bus il va moins vite.

J'ai bien aimé, les temples. Ils sont plutôt bien conservés. Faut dire que depuis le quatrième siècle avant le petit Jésus, ils ont été remis à neuf une sacrée quantité de fois. Ce qui était sympa aussi c'est qu'il y avait pas grand monde. Ça fait que pour prendre les photos, j'étais pas obligé d'attendre une demi-heure qu’une horde d'abrutis se casse. Mais alors, qu'est-ce qu'il y avait comme caillasses autour. Dans un endroit pareil, ils pourraient quand même déblayer, bordel ! J'ai pas arrêté de me tordre les chevilles.


L'après-midi fut consacré au centre historique. Mais d'abord j'ai mangé. Oualou je fais des progrès tous les jours. C'était tellement beau dans les assiettes que j'ai fait des photos. Le centre historique par contre, ça m'a fait un peu drôle. Pas de touristes, parce qu'en cette saison le peu qui passe fait les temples en courant et remonte dans
l'autobus en vitesse pour aller photographier autre chose, et pas d’habitants non plus, ni de commerçants, perche la sieste doppo pranzo. J'ai juste discuté un peu avec un carabinier insomniaque, mais bon, c'était quand même limité.


Il y a des fois, comme hier dans ce palais de la Zisa, on se sent terriblement étranger et on est un peu triste et on sait pas pourquoi. J'ai fini dans une vieille Abbaye désinfectée et alors Michelin dit que sa décrépitude est inexorable et oh surprise, j'ai vu cette vieille bâtisse sur les hauteurs de la ville et dans un quartier sans âme, reconvertie en musée et aussi admirablement restaurée que le palais d’hier. J'y suis resté une heure et un peu plus. Elle aurait été en activité l'Abbaye je me faisais moine moi-même.


Voilà, dans une heure et demie je serai à Palerme. Je prie la Madonna pour qu'il y ait un taxi qui m'emmène directement à la pizzeria à côté de l’hôtel, vu que c'est assez d 'émotion pour aujourd'hui.


* Pineriar, 2l.30


Je suis né chanceux. Il y avait un taxi. Pas deux, pas trois, un taxi. Mais juste avant j'ai eu un choc en sortant du train. Moi qui arrêtais pas de me dire putain, c'est super, pas un seul MacDo, il y en a un énorme planté au milieu de la gare ! Salauds! Ils sont partout!


* Hôtel Atheneum, 23.25


Je réalise soudain que je me suis pas encore exprimé sur les Siciliennes. Ben ça va être vite fait. Les moustachues en noir avec les bas qui plissent et le tablier de sapeur et les aisselles pas rasées, qui portent en permanence le deuil d’un cousin de leur beau-frère, c'est passé de mode apparemment. Elles sont plutôt mignonnes à vrai dire, et toutes avec l’uniforme habituel, pantalon taille basse, ventre à l'air, pour ça je suis pas dépaysé. Mais par prudence j'ai pas osé prendre de photos. Ici, même avec un 300mm, si on joue à ça, j'ai dans l'idée que le risque zéro de finir à la morgue est pas nul.


Mercredi I5 octobre 2003


* Hôtel Atheneum, 8.00


Putain que ça m'énerve le petit déj ! C'est tous les matins pareil. Je me prends un kilo de tartines, j'en bouffe la moitié avec un demi-litre de café, et alors je vais faire la pause Marlboro. La tasse de café archi-pleine et encore la moitié de tartines. Je leur dis que je reviens, no problemo, deux serveurs pour quatre clients, ils sont pas débordés, et alors je reviens et y'a plus rien et j'ai plus qu'à retourner au buffet. Enfin bon I'ascenseur est pas encore tombé en panne, ça pourrait en somme être encore plus pire !


* Palerme, Église de la Gare, 9.00


Comme si y'en avait pas assez des églises ! Bientôt ils foufiont des chapelles dans les toilettes municipales ! Enfin ! Il en faut pour tous les goûts.


Et encore une idée reçue qui se barre ! Même au bar de la gare c'est interdit de fumer. Maledizione ! A part ça tout est clair. J'ai les horaires de train pour rentrer ce soir et aussi pour demain que j'ai encore pas mal d'églises à visiter. L'employé ça l'a énervé que je maîtrise pas suffisamment bien la langue à son goût. Il m'a pas traité de stronzo mais c'était pas loin.J'ai même cru l'entendre marmonner quelque chose comme fa anculo. Anche tu, j'ai failli répondre, mais il aurait été foutu d'appeler les flics, ce con.


Bon, comme j'ai une heure à tuer, je vais retourne à la petite église de l'autre jour, où j'ai discuté avec le moine franciscain. C'est lui qui m'a montré, dans une petite chapelle, la statue minuscule d’un petit enfant tout rigolo habillé en moine. J'ai pris tout mon temps pour le photographier, le petit moine, sauf qu'après je me suis aperçu que j'avais oublié de mettre la pellicule. Même que j'ai changé les piles et que ça marchait toujours pas. Et comme je la veux, la photo, j’y retourne. C'est le Christ j'en suis sûr qui m'a envoyé un signe pour me faire dire que je suis un con. Je le savais déjà, merci.


* Quai de la gare, 10.40


Je prends le Palermo-Roma. En principe cependant, vu qu'il a déjà vingt minutes de retard. C'est normal qu'il aille à Rome le train, puisque tous les trains mènent à Rome. J'y serais bien allé moi aussi, à Rome, prendre des nouvelles du Pape, si les urines sont claires, les selles bien moulées et tout ça, seulement Palerme Rome sans fumer, ça doit être duraille. La vie dans les trains est duraille, Lacan me lâchera plus jamais, je le sais maintenant.


Heureusement, I'avantage du train sur l'avion c'est qu'on peut fumer aux toilettes sans qu'on vous foute deux millions de dollars d'amende et deux cents quatorze ans de prison à Guantanamo Bay. Ça fait rien, de toute façon je m'arrête, non, pas de fumer, c'est hors de question, je m'arrête tout court, à Cefalu, sa cathédrale normande, ses églises, son port et ses pêcheurs pittoresques et patati et patata. Je crains qu'il ne pleuve sur Cefalu. Demain je pourrai dire il a plu sur Cefalu, Ça fera plus joli. Sauf qu'on dit Cefalou mais la manière que c'est écrit ça se voit pas. Andiamo via.


* Dans le train, 11.00


Deux énormes surprises et agréables pour une fois. D'abord je suis dans un wagon fumeurs. Autorisation spéciale du Pape, je suppose.


Et deux, même que c'est des toilettes à l'ancienne qu'on envoie tout directement sur les rails. J'avais pas vu ça depuis tente ans. Ah Mon Dieu cette nostalgie qui me saisit soudain. Nos jeunes années qui courent dans la campagne. Et les miennes d'années qui courent nettement moins vite à présent.


* Al Porticciolo, 13.20


Je sais pas ce que ça veut dire, Al Porticciolo, mais ça fait classe. C'est un restaurant de fruits de mer, avec vue sur la mer, trois fois moins cher qu'à Paris alors pourquoi se priver, et puis je vais le foutre dans le budget des dépenses ordinaires, ça fera comme une économie.


Donc j'ai foncé tout droit en arrivant au Bureau de Tourisme, en plus qu'il tombait des rails de chemin de fer. La nana de faction m'a donné un plan, et démerde-toi avec parce que apparemment elle est pas d'ici et elle parle pas un mot d'anglais.


L'église du Purgatoire j'ai pas eu trop de mal à la choper, elle était juste à côté. Par contre elle est ouverte que le dimanche, pour la messe. A mon avis, le curé est en taule, pour des raisons qu'il vaut mieux pas s'appesantir dessus, et on le laisse sortir que pour la messe dominicale.


Ça m'a pas découragé, je me suis rabattu aussi sec sur la cathédrale. Je suis arrivé pile poil pour la fermeture, et je me suis donc fait foutre dehors immédiatement. Ils la rouvrent à trois heures et demie, c'est sans doute qu'ils ont pas le droit de faire autrement. Mais là où j'étais excité comme un pou, c'est que c'est ici qu'a été tourné Cinéma Paradiso. Il y a les adresses dans le guide et tout, mais malheureusement personne ici les connaît. Le lieu de tournage, j'ai fini par le trouver, mais alors tout à fait par hasard. En prenant un café j'ai demandé on sait jamais, et puis je suis têtu en cinéma au patron, qui m'a sans hésiter montré la maison juste en face de chez lui. C'est de bon augure. Il n'est pas impossible que cet après-midi je trouve la plaque commémorative et même le film en DVD si Dieu le veut. J'ai réussi à extorquer une adresse pour les DVD : Village Med Club. Ça serait du sicilien typique que ça m'étonnerait. On verra bien. Place aux moules.


*AI je m'en rappelle plus, 14.30


Ah qu'est ce que c'est beau la musique sicilienne. Ca foutrait le cafard à un banquet de sapeurs pompiers. Je suis au bord des larmes. C'est pas grave, surtout que j'ai foutrement bien déjeuné. Une énorme salade de fruits de mer, pour commencer, avec plein de pieuvres dedans, j'ai reconnu à cause des tentacules. Ah, allez, un petit coup de Lacan, juste pour rigoler. Viens ici que je tentacule. De tentacule à tentamoule il n'y a qu'un pas, et donc après j'ai eu la soupe de moules. Ouah ! Le Léon de Brucelles il les aurait vues, il aurait fait une crise de nerfs. Avec il y avait de la salade frite, à pas confondre avec la salade avec des frites. La semaine prochaine, retrouver la cantine, ça va vraiment être la joie.


Après une étude longue et minutieuse, je crois que je sais où elle est, la plaque du Cinéma Paradiso. Ils ont pas pu mettre le nom de la place sur le plan, vu qu'il y a sur cette place une station service et que par conséquent il y a une grosse pompe à essence représentée par dessus. Ils sont farceurs ces Siciliens!


Je crois que je vais sauter le dîner, sans regrets. Parce que la pizzeria à côté de l’hôtel, c'est plutôt bon mais la nana visiblement elle peut pas me sacquer, peut-être parce que je suisle seul client et qu'elle aime pas être dérangée. Et en plus, elle prend toutes les cartes bancaires possibles sauf la Visa, qui, il faut bien le dire, n'est pas très répandue.


Et alors j'ai encore trois jours pour cavaler partout, dans des endroits qu'on aurait du mal à les rêver et je sais pas pourquoi, je me sens par moments, et de plus en plus fréquemment, un peu tristounet. Je sais bien que j'ai oublié le Prozac et que c'est bien fait pour ma gueule mais je crois qu'il y a autre chose. Peut-être l'air de la mer qui me réussit pas.


Ce qui me réussit pas toujours non plus, c'est quand je vais pisser. C'est arrivé y'a deux minutes et je suis encore tout bouleversé. Donc, j'y vais, et là, signore à droite, signori à gauche. Moi avec ma connaissance de l'italien, j'ouvre signore en grand et là je tombe en plein sur une nana tranquillement en train de faire pipi tout en téléphonant sur son portable avec la petite culotte sur les chevilles. Et maledizione j'avais même pas l'appareil photo. Enfin bon heureusement c'est pas ma voisine de table, tout au moins j'espère, parce que j'ai pas eu trop le temps de regarder son visage. Elle pouvait pas fermer la porte, cette conne ?


* Bistrot du coin, 16.00


Ouh là, louverture de la cathédrale, on aurait dit une invasion de morpions. Y se sont engouffrés là dedans comme chez Tati les jours de soldes, sans regarder la façade vu que sur le guide y'a pas assez d'étoiles, et tout ça pour quoi, hein ! Un Christ Terminator comme d’hab. Tout en carrelage. Ça paye le billet de train, mais tout juste.


* Place San Francesco d’Assisi, 18.15


Je me refais mon flashback, pour commencer. Ce matin, j'ai visité le musée gratos. Et ça parce qu’une dame avec des enfants et peut être un mari, j'ai pas trop fait attention parce que je regardais la dame, qui avait un beau visage et alors elle avait acheté un billet en trop. J'ai discuté un peu avec elle, elle parlait anglais presque aussi bien que moi et je lui ai demandé d'où elle venait et elle m'a dit avec un petit sourire à peine gai, Jérusalem. Elle m'a dit aussi, vaut mieux pas y aller. Elle était juive, donc, et elle m'a donné le ticket, elle me l'a pas vendu. Il y a des gens, on les voit cinq minutes et ils vous restent longtemps dans la tête.


Sinon pour la plaque commémorative ils avaient raison, sur le plan, c'est bien une station service.Quant au DVD, pas la peine d'en parler. En Irlande pourtant, il y a trois ans, j'ai trouvé dans un trou perdu la vidéo de L’Homme Tranquille, et une montagne de photos d'époque avec John Ford dessus et l'épicier qui racontait comment Ford avait mauvais caractère et buvait comme un trou. Je suis resté une heure en extase. Passons ! Je suis allé joyeusement à la gare à pied, de toute façon c'était ça ou rien. A pied c'est le mot, parce que j'ai tourné autour une demi-heure avant de la trouver. Et alors là, j'avais pas trop fait attention ce matin, on se serait cru dans Il était une fois dans l'Ouest. Et me voici sur la petite place où j'ai si bien mangé l'autre jour et où il fait si bon se reposer. Quand je suis arrivé, l'église était en train de fermer, mais le gardien m'a dit d'y aller et de prendre mon temps. J'ai tout visité, y compris le bureau du curé et la sacristie, j’y aurais volé une soutane c'était pareil, pas tant par curiosité mais parce que j'avais une féroce envie de pisser.


Et pisser dehors en Sicile, je sais pas pourquoi, on dirait que c'est un crime contre l‘humanité. Je le fais plus, même à Paris, mais là c'était une vraie urgence. J'ai fini par trouver un tas de gravats totalement à l'abri des regards, mais à peine j'avais ouvert ma braguette qu'une mémé a bondi sur son balcon et m'a agonisé d'insultes. C'est finalement un bar de vins et spiritueux ne servant ni café, ni Coca, ni eau, qui m'a très aimablement permis de soulager ma douleur. Encore une tentation que m'envoie Dieu probablement. Je suis bien ici pour écrire. C'est le quartier de Palerme que je préfère. Le plus ancien, je crois, et le plus agité, aussi, autrefois, il paraît, quand il y a eu des émeutes, des guerres civiles, je sais pas, je connais même pas l‘histoire de France. Et puis Saint François d'Assise, je l'aime bien. Les petits oiseaux lui parlaient à l'oreille, tellement qu'il était gentil. Rossellini a fait un film, Les Fioretti de Saint François d'Assise. Je lai vu au Lycée, autrefois. L'aumônier essayait de nous convertir en nous cassant les burettes.


Il en a fait un autre de film Rossellini, qui s'appelle Stromboli terre du désert, même que je crois que ma fille I'a vu. Il paraîtrait que l’lle de Stromboli, c'est plutôt austère. Au point que l’Ile d'Aran en Irlande, par comparaison, c'est quasiment comme une des îles des Dom Tom. J'avais envie d'y aller, pour le voir le bout du monde, et il paraît que c'est possible, de Cefalu, seulement c'est veramente trop long. Alors je verrai pas le Stromboli, et l’Etna non plus d'ailleurs, vu que le bus c'est pas tous les jours. Le lundi seulement quandi il fait beau et que c'est pas un jour férié, ni I'anniversaire de la mort d'un Pape.


Je termine sur une note sociologique, hein, si je veux concurrencer Michelin, faut que je soye exhaustif. C'est à propos de la circulation. Ben c'est simple, les piétons font ce qu'ils veulent, les automobilistes aussi, avec les mammas à l'avant, les bambini sur les genoux et sans ceinture, et les scooters n'en parlons pas, et quant aux feux rouges on est tout étonné quand on en voit un, et avec tout ça, tutto va bene. Pour se garer par contre, là seul un Sicilien en est capable. Enfin bon, c'est pas du tout comme à Athènes, je me souviens, on posait un pied sur la chaussée et direction la morgue. Ici, on se fait seulement insulter.


* San Domenico, 20.30


Qu'est ce que c'est que cette idée de vouloir sauter le dîner ? Faut que je fasse attention, je commence à déprimer grave. Et en Sicile, le Prozac ça m'étonnerait qu'ils connaissent. J'en ai trouvé un, ça a été dur mais j'ai trouvé, un de magasin qui vend des DVD. Et j'en ai trouvé deux : un avec Toto, c'était un comique napolitain dans les années cinquante. Il est à crever de rire et je crois que y'a que moi qui le connaisse en France. Et l'autre c'est The Getaway de Peckinpah, avec Mac Queen et Ali Mac Graw. Deux mois que je le cherchais à la Fnac. J'ai sacrément bien fait de venir en Sicile. Là je suis devant mon Coca et je viens de disserter un long moment avec une néo-zélandaise qui vit à Londres. Je lui ai dit avec force détails tout le bien que je pense des Anglais. C'est comme pour les Savoyards, ça soulage.


Et pour finir j'ai repéré une trattoria particulièrement intéressante, qui se situe sur un petit marché, au milieu des cageots et des légumes écrasés, mais ça a l'air superbe et en plus c'est self servizio à volonté. Ça devrait pas trop me ruiner.


* Trattoria, 21.30


Je crois que je fatigue un peu. Ça fait dix minutes que j'essaie de sucrer le café et je viens juste de m'apercevoir que c'était avec un cure-dents. En plus des cageots et des aubergines pourries, on trouve également ici une douzaine de clébards galeux, un mec, à cinquante mètres, qui fait cuire des trucs que je sais pas ce que c'est mais que ça me pique les yeux atrocement, et pour finir une bande de punks, je savais pas que ça existait encore, en train de se défoncer à la bière et au shit. Plus pittoresque on meurt.


Bon, ben plus qu'à me taper un kilomètre et demi pour essayer de trouver un taxi, porca miseria !


* Hôtel Atheneum, 22.30


Il y a deux stations de taxi, une avec, pas plus de deux ou trois, quand même, faut pas exagérer, et une sans. Naturamente c'est la sans que j'ai choisie. Et finalement, le temps que je comprenne, je serais rentré plus vite à pied, et ça m'aurait évité d'entendre pendant un quart d'heure un abruti brailler comme un âne à la radio sous prétexte que Palerme Fiorentino 2-0.


Jeudi I6 octobre 2003


* Del treno, 9.35


Mon analyse d’hier, sur la circulation, elle mérite d'être affinée. Le jour, c'est vrai, c'est à peu près sans danger. Mais c'est parce que la plupart du temps les voitures elles roulent pas, elles stationnent. Et quand par hasard elles roulent, elles essaient par principe de pas s'arrêter. Ce qui fait que les passages piétons, quand y'en a, y'en aurait pas que ça y changerait rien. Si le piéton il attend avant de s'engager que quelqu'un veuille bien ralentir, il peut rester planté là jusqu'à NoëI. Mais alors la nuit, veramente, c'est autre chose. On se croirait à San Francisco, dans Bullitt. Mon chauffeur de taxi, hier soir, malédiction, il tombe sur un des rares feux de la ville, rouge en plus. Il le brûle sans hésiter, et voilà-t-il pas qu'un connard arrive à droite, et ça I'oblige à piler et à m'envoyer la tête dans le siège avant. Furieux, qu'il était, le pauvre homme. Un peu plus, je me serais vidé de mon sang dans son taxi et il était ruiné.


A dix heures j'ai appelé Domi. J'avais envie d'entendre sa voix. J'ai été plutôt déçu. Elle m'a juste demandé si j'étais toujours en Sicile. Elle s'était couchée avec les poules et avec la grippe, particulièrement précoce et venimeuse cette année, comme ils nous ont dit à l'usine pour qu'on se fasse vacciner à I'oeil, parce que si en plus de la Reteuteu on se prend une semaine de maladie, la Société court à la ruine.


Je suis en route pour Erice, son site inoubliable, ses douze églises et tout le reste. Mais j'ai bien failli manquer le train, parce que quand j'ai voulu acheter des Marlboro, le mec il en avait plus et il a voulu à tout prix me fourguer des Winston à la place. Il voulait plus me lâcher, il me disait que c'était exactement pareil. Il me suppliait. Tu parles que c'est pareil, espèce d'escroc ! S'il y a un domaine où je m'y connais, c'est bien sur les clopes !


J'ai enfin compris pourquoi les employés des chemins de fer font tout le temps la gueule. C'est parce qu'ils sont ulcérés d'être obligés de perdre leur temps derrière leur de putain de guichet alors que tous leurs copains sont au bar. Au bar, pour un usager, faut compter cinq ou six travailleurs ferroviaires et une ou deuxpatrouilles de carabiniers. Ça fait un peu d'attente, mais bon, comme de toute façon les trains partent pas à l’heure, c'est pas trop grave. Par contre, le mec qui est payé pour s'occuper des panneaux horaires, je crois qu'il est en grève ou qu'il est mort, vu que ça fait trois jours que tout est décalé de huit heures. Les minutes par contre, elles sont parfaitement justes. Bon, suffit de le savoir. Cela dit, dans ce train, y'a qu'une toilette et elle est fermée. Si dans dix minutes le contrôleur a pas ouvert, je pisse sur la porte.


Oui, ben ma retraite, je la prendrais bien à Palerme, malgré qu'ils soient très stricts avec les interdictions de fumer. Mais enfin, sept euros l'amende ça va encore. L'idée de finir ma vie au Cercle avec les mots fléchés du Parisien, à boire du Perrier en écoutant à longueur de soirée le récit des aventures du PSG, quand c'est pas celles de Schumacher, ça me branche pas trop. Mais faut quand même que je réfléchisse un peu avant d'acheter un taudis insalubre dans une ruelle qui voit jamais le soleil. D'un autre côté, je pourrais comme ça aller dire bonjour assez souvent à la petite Rosalia. Et puis, c'est pas un problème que je suis pas encore bilingue, je peux demander à mon directeur, puisqu'il veut pas me donner des cours d'anglais, de m'envoyer en cours d'italien. Ça peut même être tout à fait utile l'italien, dans l'aéronautique, pour discuter avec les Arabes ou les Grecs, les lndiens et même des fois avec la Marine Nationale.


Méfiance quand même. Avant d'être soigné, j'étais maniacodépressif. Maintenant je suis seulement versatile. Je serais en vacances à Châteauroux, heu non, pas Châteauroux, c'est là que j'ai fait mon service militaire, mais disons Guéret ou Argenton sur Creuse, tel que je me connais je serais foutu d'avoir envie d’y passer le restant de mes jours.

Versatile, parfaitement je suis versatile. Allez, encore un coup de Lacan, je suis devenu accro. Donc, dans versatile, il y a vers ça. Et le ça, c'est moi. D'où le chat siamois. Qui, comme chacun sait, n'a pas de queue. Vous avez, Monsieur, un problème avec votre pénis. Et dans pénis, hein, il y a pénicilline, hein ? On s'arrête pour aujourd’hui, d'accord ? Après-demain nous creuserons dans les maladies vénériennes. Nous serons si j’ose dire dans le vif du sujet. Quatre cents francs, oui, merci.


* Del treno per l’altra direzzione, 18.00


Pour aller à Erice, il faut d'abord s'arrêter à Trapano, c'est un port, et ensuite prendre l'autobus pour Erice, vu que c'est perché tout en haut dans la montagne. Ils étaient vraiment barjots, au Moyen Âge, pour aller construire dans des endroits pareils. Comme j'avais une heure entre le train et le bus, j'ai fait tout Trapano, sans rentrer quand même dans les églises. Y'en avait trop. Donc je suis formel, Trapano aucun intérêt. La montée à Erice, elle est un peu raide avec ses deux ou trois cents virages en épingle de nourrice. On est content quand on arrive, parce que bonjour le mal au coeur. C'est un peu fortifié Erice, on rentre pas comme on veut et c'est pour ça sans doute qu'ils ont mis l'arrêt d'autobus à cinq cents mètres du parking qui donne sur la porte d'enfiée unique et principale.


Alors aujourd'hui au niveau de l'ensoleillement et de la température c'était limite, surtout en chemisette à manches courtes. À vue de nez, la visibilité était d'environ trois mètres. Les touristes abondaient pas non plus, trois à la montée et deux à la descente, manquait celui probablement qui a jamais retrouvé la porte pour sortir, plus un chauffeur et un contrôleur, faut ça sinon le chauffeur serait top débordé avec tous ces billets à poinçonner dans les virages.


Donc, j'étais à peu près tout seul comme touriste, mais ils ont quand même réussi, les Siciliens, à me piquer mon pognon dans la poche de mon jean. Et le plus beau, c'est qu'ils ont pris au retour le même bus que moi. Sans doute qu'ils avaient laissé leurs BM en bas, rapport qu'avec tous ces virages, c'est moins fatigant en bus. Trente euros, j'allais pas en faire une maladie. Quand j'étais maniaco, peut-être je serais allé leur demander si la recette de la journée avait été bonne et tant pis si j'aurais pris un ou deux poings dans la gueule, mais maintenant avec le lithium, j'ai plus envie de faire des trucs rigolos comme je faisais autrefois. Sinon, les mecs, pas du tout des vulgaires loubards comme on a chez nous. La classe, dans les trente-cinq ans, costauds, plutôt bien mis, mais avec des têtes quand même à se dire qu'avec eux, il vaut mieux rester poli.


Et c'est comme ça que je me suis retrouvé perdu dans la brume, au sommet d’une montagne et sans un sou en poche, mais quand même faut pas dramatiser, j'avais encore la carte bleue, et que je me suis aperçu que je m'en foutais complètement. Huit mois sans sortir d'Asnières, c'est pas du luxe de s'aérer un peu. Et là, tout là-haut entre ciel et terre, je voyais soudain surgir devant moi la cathédrale, le château, énormes et saisissants comme dans les pièces de Shakespeare filmées par Orson Welles. Ça vaut le coup aussi, même pour quelqu'un qui supporte que le pavé, de regarder défiler le paysage sicilien. Sur cette ligne, d'un côté on a la mer, de l'autre la montagne. C'est beau, je suis bien obligé et sans trop de honte d 'avoir à l'admettre.


Ce soir programme minimum, d'autant que je me lève à 6 heures, mais c'est pas grave, je me réveille jamais après cinq, et direction une villa romaine avec les plus beaux carrelages de Sicile. Donc, dans I 'ordre, taxi, billetterie,pizzeria, hôtel.

Tout à l’heure à la pizzeria j’entre et je me mets à la table à côté de la porte grande ouverte et j'allume un clope pour voir, et alors la nana, elle me fera le coup du vietato fumare capisce stronzo. Alors je ferai celui qui comprend rien et jusqu'à ce qu'elle me foute à la porte. Faut bien rigoler un peu, de temps en temps.


* San Francesco d’Assisi, 20.30


Ben oui, j'avais oublié que le meilleur restau de Palerme est à moins de dix minutes de la gare. Sa pizza, l'autre morue, elle a qu'à la boufferà ma place.


La terrasse est fermée mais c'est pas grave ,je suis au deuxième étage et pile en face du porche de l'église. C'est le bonheur à l'état pur, enfin pas tout à fait, je serais mieux hélas si j'étais deux avec quelqu'un que je connais. Et puis, rien n'est parfait en ce bas monde, on m'a mis à une table commune, et alors j'ai en face de moi les deux Miss Pétasse 2003 de Palerme, y'en a une elle est scotchée à son portable depuis un quart d’heure, que j'ai honte pour elle. Porca Madonna !


* Hôtel Atheneum, 22.00


Et pour finir le petit mystère désormais parfaitement éclairci. Partout en Italie, dans les boutiques à souvenirs, on expose par centaines des horreurs en bois et en tout genre représentant Popaul. En Sicile, rien ! Zéro ! Et pourquoi ? C'est tout simple, c'est parce que ça se vendrait pas. C'est l’hôtel qui m'a expliqué.


Vendredi I7 octobre 2003

* Autobus, 6.55


Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Ça ma pas gêné, ce matin, je me suis réveillé à quatre heures. Une bonne marche dans les rues de Palerme à six heures du matin, ça donne aussi une autre vision. Je crois que je fais un peu moins touriste maintenant. Je demande plus rien à personne. Je cherche et je finis par trouver, sans rester scotché sur le plan. Des fois, c'est moi qui renseigne les rares Japonais et même, une ou deux fois, c'est arrivé, des Siciliens. Ils sont pas finalement si infects, les Siciliens. Ils sont même plutôt attachants, souvent. Avant-hier, à Cefalu, j'étais sous un porche pendant qu'il pleuvait et je discutais le bout de gras avec deux ou trois indigènes, et alors un petit vieux m'a sauté dessus en me criant des auguri, auguri, molto grazie, c'est tout juste s'il m'a pas embrassé, tellement il était content de voir un touriste pour une fois qui essayait de parler italien.


Alors je crois que je vais pas trop me casser le cul à écrire, ce matin. C 'est la première fois que je voyage dans les terres. C'est mieux de regarder le soleil qui se lève sur la campagne.


Ah si, j'oubliais, j'ai fini par renoncer au caffe lungo. J'avais trop l'air d’un étranger. Je suis maintenant au caffe tout court. Grosso modo, la moitié d’une petite cuillère normale et pareil de sucre . Et puis, encore un truc sordide qui me tracasse. Après deux litres d'eau minérale pendant la nuit, est-ce que je vais réussir à tenir encore une heure ? J'étais en train de me dire, quand même ,en essayant d'oublier que j'ai envie de pisser, qu'au niveau du mental, je suis en train au fil des jours de changer grave. Tiens même Lacan, aujourdh'ui il me fait chier. Il est là quand Lacan ? Ben peut-être demain, s'il arrive à sortir du cimetière. Mais vaut mieux qu'il y reste, à mon avis. Et qu'il appelle à lui tous ses disciples, à commencer par celui qui m'a volé trente mille balles, et qu'on en parle plus.


Oh Bon Dieu, j'ai pris l'abonnement au brouillard, depuis hier. J'espère qu'à la Villa Romana ils ont l'électricité, parce que s'il faut que j'inspecte six cents mètres carrés de carrelage avec mon briquet, je vais rater l'autobus du retour.


* Enna, 10.45


Un capuccino avec deux croissants, après deux heures de marche dans la brume et sous le crachin, on a beau dire, ça peut pas faire de mal.


Arrivée du bus de Palerme prévue 8.45, arrivée 8.48, correspondance pour la Villa Romana 8 .45 pétantes, départ à l’heure. Prochain départ 12.30.


Et voilà pourquoi je me retrouve en plein centre d’Enna, son Duomo et ses trente-quatre églises. Mais mon plus grand bonheur ce matin a été de découvrir, à côté des bus, le cimetière. Mon périple en Sicile aurait pas été complet. J'ai toujours aimé ça moi les cimetières, surtout les vieux avec les herbes folles et les tombes en ruine. C'est important quand on voyage de visiter les cimetières. On comprend tout de suite, en regardant comment se font enterrer les gens, quelle est leur perception de la vie. C'est pas moi qui l'ai dit. Celui qui me I'a dit, c'est pas un imbécile. C'est le Conservateur chargé des monuments historiques, au Père-Lachaise et pour tous les cimetières parisiens. Il m'a même précisé que chaque fois qu'il allait quelque part, sa première visite c'était le cimetière. Pour lui, les tombes c'est comme pour moi quand je lis le guide avant de partir. Ici, les gens mettent sur les stèles des petites vitrines, avec des fleurs, des petits bibelots, et plein de photos de quand ils étaient jeunes, et aussi de quand ils étaient vieux. C'est touchant, vraiment. Chez nous, il me semble, ça manque souvent de douceur, de chaleur.


* Autobus, 1230


Une averse tropicale du même calibre que celle que j'ai connue un jour, autrefois, à Key West, m'a empêché de voir le Duomo. Je suis présentement en train de commencer à sécher, mais pour la Villa Romana par contre, j'ai l'impression que c'est pas gagné, et même que le pire est à venir, parce que les autobus d'ici, la Villa, visiblement ils en ont rien à secouer. L'objectif prioritaire, donc, encore plus que la Villa, c'est de réussir à rentrer à Palerme ce soir.


* Antico caffe, 15.45


J'avais tort de me faire du souci. C'est juste que le chauffeur de bus avait oublié de me dire que la station de taxis était à cinq cents mètres. C'est le patron moustachu du bistrot d'à côté qui m'y a emmené, et en voiture en plus. Sans doute c'est son cousin qui fait le taxi. Alors là, une fois arrivé, avec vingt euros le taxi pour dix kilomètres, et trois cents mètres d’horreurs avant l'entrée, plus les autocars de Chleuhs, pour une fois je me suis senti comme en France.


Oui mais la Villa Romana del Casale c'est autre chose. Wunderbar ! Unbelievable ! Incredibile ! Je trouve pas mes mots.


Ces mosaïques, ben oui, je le savais que c'était pas du carrelage, je disais ça c'était juste pour faire plouc, intactes ou presque, on fait d’un seul coup un bond de seize cents ans en arrière. Voilà, il en fallait bien un, de lieu commun. Ecco fatto !


Si je dis rien d'autre, c 'est parce que vraiment je trouve pas les mots.


* San Domenico, 21.00


Pour mon dernier soir en Sicile, j'allais quand même pas dîner au MacDo.


Demain je veux faire trois trucs plus un. L'Oratorio de Sainte Zita parce que tous les autres Oratorii ils sont fermés pour lavauri et que je veux pas mourir sans en avoir vu un d'Oratorio ; le palais je sais plus son nom, où j'ai pas réussi à entrer rapport que c'était fermé et que j'ai horreur de rester sur un échec ; ensuite, aller boire deux ou trois Cocas au Grand Hôtel, en me fantasmant en Don Corleone quand c'est Al Pacino qui le fait. Et surtout, pas oublier d'aller dire adieu, parce que je crois pas que je reviendrai à Palerme, adieu oui, à la petite Rosalia.


Et demain, aussi, je me mets en vacances d'écriture .Je fais le shabbat. C'est pas si facile d'écrire autant de conneries en si peu de temps.


La fête est finie. Elle recommencera dans deux mois, à Istanbul. Gloire au Prophète! Entre les deux, je vais essayer de trouver une solution pour un problème qui est pas trop simple, et important en plus. Je suis un nouveau venu dans le monde réel, mais j'apprends. Ça non plus c'est pas de moi.

Samedi 18 octobre 2003


* Hôtel Atheneum, 8.30


Rien écrire aujourdh'ui ? Ça va pas la tête ?


Tout avait commencé sous les meilleurs hospices, et ça finit sous les pires augures. Dans l'ordre : impossible de sortir tellement il pleut. Impossible de prendre un taxi pour aller en ville vu que grâce aux artistes dépouilleurs locaux il me reste, après déduction du transfert à la gare et ensuite à laéroport, deux heures d'autobus pour quarante minutes, en tout, deux euros. Et pour que la fête soit complète, bientôt plus de Marlboro. À l‘hôtel, no problemo, ils en ont pas rapport que c'est prohibito par la loi. Ben va falloir que je fasse la manche. Ça sera pas la première fois.


L'Oratorio et le parc je m'en fous, le Grand Hôtel c'est pas grave, je suis juste contrarié pour Rosalia.


Ah, l’hôtel, j'en ai jamais parlé, de l’hôtel. La réception ça va. Mais pas très coopératifs tout de même. Ils ont mon numéro de carte bleue, ma signature, tout, mais me dépanner de soixante euros en liquide, ça c'est pas possible. La directrice est très stricte là dessus. Elle devrait être à mon avis la directrice au moins aussi stricte sur l’hôtel lui-même. Trois étoiles dans le guide, ça mérite, par exemple, de quoi écrire et des Kleenex dans la chambre. On est pas obligé non plus de tout foutre en bordel quand on fait semblant de la nettoyer, la chambre. Et alors la cerise sur le gâteau c'est le mec du petit déjeuner. Plus con et désagréable, même à la gare des comme ça ils en ont pas. Ce matin à six heures et demie je descends, il était à côté de la machine à café, occupé à rien foutre comme d'habitude, je lui demande un café, sept heures le petit déj, il me répond du tac au tac. J'ai énormément insisté, je lui ai fait le numéro du touriste chiant, qui comprend pas un mot d'italien, même sette ora avec les doigts, jusqu'à ce qu'il craque. Et donc de guerre lasse il me l'a fait quand même le café, mais c'est tout juste s'il me l'a pas balancé en travers de la gueule. Pour le deuxième café, je suis allé chercher le réceptionniste, c'était plus prudent. Bon ben y pleut plus on dirait. Je me casse si c'est comme ça.


* Bistrot du coin, 10.15


Qu'il est con mais qu'il est con ! Le réceptionniste à qui je parle en anglais depuis le début de la semaine et qui vient juste de me dire qu'il comprend nettement mieux le français, pendant que je me lamentais pour le bus de l'aéroport, il m'a dit mais y'a le métro juste à côté, y'en a pour quarante minutes. Alors je suis allé vérifier et c'est tout à fait vrai. Et alors en plus, faut le savoir, les banques à Palerme y'en a pas à tous les coins de rue, mais là pile en face le métro, une banque. Et le Bancomat qui est pas en lavauri. Et ma carte bleue qui est plus en grève. Je vis à nouveau dans un rêve !


Et même qu'il fait soleil sur Palerme.


* Trattoria de Mimmo, 13.00


Exceptionnellement je déjeune tôt. Ce soir dans l'avion je m'attends au pire. Alors ce matin je me suis pas trop pressé pour aller aux Catacombes. Je me suis arrêté à San Giovanni degli Eremiti, l'église la plus vieille de Palerme, et à la chapelle Palatine. Ensuite, comme vraiment j'étais pas du tout pressé et que ce matin j'avais un peu de mal à marcher, pour la première fois depuis que je suis arrivé, j'y suis allé aux Catacombes en autobus.

Et alors je me suis aperçu qu'à gauche il y a le cimetière des singes monacaux et que je l'avais loupé samedi dernier.


J'ai donc photographié la moitié des tombes, et puis en sortant j'ai vu un petit jeune, assis, tranquille, genre routard. Je lui ai demandé un peu d'eau et alors c'était un Américain, végétarien et de gauche. Et pas con.


Et en plus, j'ai failli m'évanouir quand il m'a dit où il habitait, un bled perdu, Athens, Georgia. Un bled perdu en effet, tu parles, où je suis resté trois jours chez une copine de ma vaillante première épouse, c'était en 1977, et qui, elle, y avait passé un an à étudier Thomas Wolfe. Le monde est piccolo. De saisissement, un peu plus, j'allais me taper un Fernet-Brancat.


Ou alors c'est le Christ qui voulait que j'aille pas plus loin, que je rentre pas dans les Catacombes aujourd’hui.


Parce que on a discuté comme ça une demi heure à I'aise, I'Américain et moi, de littérature, de cinéma, du Deep South et de la connerie de Bush. Et quand on s'est dit au revoir, comme de juste, les Catacombes, elles étaient fermées. Ici, même les moines et les momies tapent la sieste.

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