samedi 25 juin 2011

Hans, Helmut et Adolf, leur caporal-chef. Appelez-le Chef

Edmond de Sevailledrailles

Ach ! La guerre, gross

malheur !

Préface du Professeur Halesse


A l'amitié entre les peuples

A la construction européenne

A Madame Bertrand

Et à Henriette et Adèle, ses filles bien-aimées


La beindure à l'huile

Z'est drès divvizile

Mais la beindure à l'eau

Z'est pien moins rigolo

Chanson de marche

de la Wehrmacht, 1947


Préface

Voici un ouvrage destiné sans nul doute à connaître un retentissement considérable, aussi bien auprès du grand public que des milieux universitaires. Un ouvrage qui, je le dis sans crainte d'être démenti par l'avenir, devrait constituer l'un des sommets de la littérature sociale et révolutionnaire de la seconde partie de ce siècle.

Préfacer un tel chef-d'œuvre est une lourde tâche. Comment en effet rendre compte du foisonnement des idées, de la richesse des descriptions, des dialogues criants de vérité, sans amoindrir l'incroyable pertinence philosophique et politique du propos ? Car, derrière l'anecdote, magnifiquement documentée sur le plan historique, c'est bien d'une tragédie universelle qu'il s'agit; celle, n'ayons pas peur des mots, de l'exploitation de l'homme par l'homme, montrée sous sa forme la plus atroce, la guerre, hélas. Inhumaine, fratricide, mais parfois aussi monstrueusement joyeuse, lorsque les bornes du désespoir sont dépassées. L'auteur réussit ainsi le tour de force de nous faire hurler de rire avec sa description quasi-clinique de l'abomination absolue. Ce n'est pas là la moindre preuve de son génie.

Voici donc deux pauvres hères, Hans et Helmut, droit issus du Lumpenproletariat allemand, vivant dans des conditions atroces, et en butte aux humiliations et aux sarcasmes d'une hiérarchie aussi tatillonne qu'imbécile. Ils sont les soldats misérables et exploités de toutes les guerres. Et, admirable invention de l'auteur, on ne le soulignera jamais assez, voici aussi le personnage d'Adolf, leur chef. Si stupide, aliéné et boursouflé qu'il soit, ne symbolise-t-il pas quant à lui rien moins que le capitalisme monopolistique et apatride dans toute son horreur ? Et pourtant, Edmond de Sevailledrailles réussit, tout en racontant les méfaits d'Adolf sans nulle complaisance, le tour de force de lui faire transparaître parfois quelques signes d'humanité, en dépit de sa révoltante ignominie.

Que dire, également, de l'intemporalité des protagonistes, qui traversent les époques sans jamais vieillir ? Où trouver les superlatifs ? Ne rejoignent-ils pas ainsi, dans l'universalité, le capitaine Haddock, le commissaire Maigret, et Ferdinand Bardamu ? Bien sûr, quelques beaux esprits ne manqueront pas d'ergoter que les Allemands ne participèrent point à la Guerre de Cent ans. Mais qu'en savent-ils ? Ils n'y étaient pas, que l'on sache. Et que font-ils de la liberté de l'écrivain ? Et de la licence poétique ?

En vérité cette erreur historique qui n'en est pas une est parfaitement voulue et maîtrisée. L'auteur en effet à aucun moment ne veut mettre en scène les perfides Anglais autrement que comme une menace invisible et sournoise. Référons-nous plutôt à la sourde angoisse de Hans et de Helmut attendant le débarquement des infâmes Britanniques sur les plages de la Bretagne, puis, plus tard, sur les lacs de Haute-Savoie. Quelle leçon d'art dramatique !

Et, anéantissant définitivement nombre de clichés imbéciles et haineux, répandus calomnieusement par l'odieuse propagande anglaise, l'auteur démontre, de manière tout à fait irréfutable et une bonne fois pour toutes, que les Allemands, de tout temps, furent des gens très bien élevés et même très sympathiques. Ils aimaient, comme vous et moi, les fruits de mer, la raclette et la soupe au chou. Ils n'auraient pas fait de mal à une mouche. Et leur sensibilité était bien souvent bouleversante. Quiconque a un jour assisté à la OktoberFest de Münich pourra en témoigner.

Bien des événements relatés dans ce livre, tous absolument authentiques et vérifiés, sont extrêmement désopilants. Mais l'amertume n'est jamais très loin, qui fait que souvent le rire cède la place à la tristesse et à la colère. A cet égard le dernier épisode est particulièrement poignant et crépusculaire. Comment en effet qualifier l'attitude de ces Français qui, cinquante ans après la fin de la guerre, se permettent de poursuivre de leur vindicte sordide quelques malheureux qui ne firent que leur devoir ? Qui sont donc ces messieurs Morauboche et Abaleshleus ? Pour qui se prennent-ils ? Ne sont-ce pas eux qui tondirent quelques jeunes filles aussitôt après l'arrivée des brutes anglaises, et après que leurs épouses eussent écrit tous les jours pendant quatre ans à la Gestapo pour dénoncer leurs voisins ? La question est posée.

Il est un patriote heureusement pour sauver l'honneur de la France et laisser percer une petite lueur d'espoir, c'est le pathétique et bouleversant personnage de Monsieur Maréchal, le pharmacien. Il est, à lui tout seul, notre fierté nationale, pratiquant sans trêve la résistance passive à l'occupant, armé de ses seuls képi et bâton, pendant que d'autres, toute honte bue, folâtrent derrière le tunnel sous la Manche avec des Anglaises lascives. Un Monsieur Maréchal qui, n'écoutant que son courage, n'hésite pas à risquer le peloton d'exécution en déconseillant à Adolf de manger des annamites phalloïdes. Là encore, quelle leçon ! Ce Maréchal n'est d'ailleurs pas sans faire penser à un autre, qui fit, lui, don de sa personne à la France, comme l'autre à sa pharmacie. Simple coïncidence de noms ? Connaissant Edmond de Sevailledrailles, rien n'est moins sûr.

Ils n'est enfin certainement pas anodin que les seuls êtres humains à manifester un tant soit peu d'humanité et d'amitié à Helmut et à Hans soient deux pauvres travailleurs immigrés, Rachid et Mouloud, aussi odieusement exploités qu'eux. Bel exemple de solidarité prolétarienne s'il en fut. Et quelle dignité dans le comportement de ces deux malheureux opprimés, qui, pour ne pas se compromettre avec l'occupant, se refusent obstinément, au risque de leur vie, à apprendre un traître mot d'allemand !

Voici en tout cas une lecture d'où l'on ne sort pas indemne. Et nul doute que nombre de manuels d'histoire devront être, après cette parution, sérieusement révisés. En ce qui me concerne, dès que mon état de santé me permettra de reprendre mon activité de professeur d'histoire et de géographie au Collège Maurice Thorez de Saint-Ouen, je compte bien, sans attendre les directives ministérielles, inscrire l'étude de cet ouvrage au programme de mes classes de quatrième.

D'Edmond de Sevailledrailles lui-même, je ne dirai que quelques mots, par respect de sa modestie naturelle et de son horreur des manifestations publiques. Il a même récemment refusé une invitation personnelle émanant de Monsieur Bernard Pivot. Il est, au sens noble du terme, un pur aristocrate. Qu'il suffise de savoir qu'il est depuis trois ans mon compagnon de chambre. C'est un homme d'une érudition et d'un éclectisme stupéfiants, sachant allier dans ses travaux rigueur et pragmatisme pour l'identification et la résolution de toutes les difficultés; c'est également un travailleur infatigable, et c'est enfin, ce qui est tout à son honneur, un grand connaisseur des arts de la table.

Sans les déflorer, je dirai simplement, pour que ses nombreux lecteurs soient rassurés, qu'il n'a actuellement pas moins de trois autres ouvrages en préparation; l'un consacré au théâtre élisabéthain, qui là encore devrait mettre à bas nombre d'idées reçues sur le sujet; un roman d'épouvante gothique, dont je ne suis autorisé à dévoiler que le titre: "Le fantôme du poisson rouge" ; et enfin, une gigantesque étude, présentée sous la forme d'un guide exhaustif et comparatif, des prestations offertes par les divers bars-tabac du département des Hauts-de-Seine. L'on sait d'ores et déjà que certains mastroquets indélicats commencent à frémir. Bières pression, sandwiches jambon-beurre, plats du jour, ballons de Côtes-du-Rhône, rhums et calvados, rien en effet n'échappera aux impitoyables analyses d'Edmond de Sevailledrailles. Qu'il en soit ici par avance remercié.

Hubert Halesse, membre de la Société des Agrégés


Hans et Helmut au Moyen-Age


Nous étions en 1338, un an seulement après le début de la Guerre de Cent ans. Depuis six mois, la troisième armée allemande, commandée par le Maréchal Ludwig Van Rommel, assiégeait le Château de Tiffonges, qui, comme on le sait, était situé entre Nantes et Montaigu, et était la propriété du Seigneur Gilles de Rais, qui par la suite, de nombreuses fois et dans toutes les positions, coucha avec Jeanne d'Arc.

Hans et Helmut, soldats de seconde classe, et Adolf, leur caporal-chef, s'ennuyaient à mourir. Les assiégés étaient solidement retranchés dans le donjon du château, avec quantité de canards, de lapins, de poulets, d'oies, de pommes de terre et de nouilles, et surtout de Muscadet; assez pour rester là plusieurs années sans rien faire d'autre que de traiter tous les soirs les Allemands de gros imbéciles; ces pauvres Allemands qui n'avaient eux que du chou pourri pour toute nourriture.

Ces misérables Français se permettaient en outre, chaque fois qu'ils avaient bu quelques litres de Muscadet de trop, de chanter, rien que pour narguer les assiégeants, des chansons aussi stupides que:

- "Bien le bonjour, Madame Bertrand, vous avez des filles, vous avez des filles."

Ou bien encore:

- "De Nantes à Montaigu, la digue la digue, de Nantes à Montaigu, la digue du cul."

Mais la Kommandantur s'impatientait. Il fallait que l'on en finisse. L'honneur de la nation allemande était en jeu. C'est pourquoi l'on fit venir une machine de guerre particulièrement redoutable, baptisée catapulte, fabriquée entièrement à la main et en bois dans les usines I.G. Farben, en Allemagne. Avec cette machine, le donjon maudit allait être instantanément réduit en miettes.

- "On fa leur vaire foir ze gue z'est gue l'armée allemande," triomphait Adolf.

- "Ils font êdre trôlement édonnés," rigolait Hans.

- "Ach, la gadabulde, gross malheur bour les Vranzais," insistait Helmut.

Les Allemands commencèrent donc à tirer des boulets vers le donjon. Malheureusement, il n'était pas très facile de régler convenablement la catapulte. Les boulets tombaient une fois trop près, une fois trop loin, quelquefois même du côté opposé au donjon.

Les assiégés étaient morts de rire. Ils s'amusaient à tirer à l'arc sur les Allemands avec, à la place de flèches, des os de poulets et de lapins, tout en continuant à chanter des chansons obscènes.

- "Che fais la régler moi-même, zette gadabulde," fit Adolf, furieux.

Après quatre heures d'efforts acharnés, ponctués de nombreux jurons en langue allemande, l'engin parut enfin en état de marche.

- "Che crois que z'est prêt, déclara Adolf. Hans, donne-moi ein poulet."

- "Jawohl mein Führer, répondit Hans, ach mais gross malheur, on n'en a blus."

- "Ach ! ch'ai une itée, mein Führer, intervint Helmut. On n'a gu'a leur cheter le donneau où on fait nos pessoins depuis un mois."

- "Ja, sehr gut, kolossale bonne itée," acquiesca Adolf, qui se mit aussitôt à trépigner de bonheur.

Helmut ne se tenait plus de joie. Il se voyait déjà caporal-chef à la place d'Adolf.

- "Hans, tonne-moi le donneau," hurla Adolf.

- "Ach, mein Führer, mais che ne zais blus où il est,"s'excusa Hans.

- "Efidemment, buisgue du es azzis dessus, gross impézile," tonna Adolf.

- "Ach, entschuldigung mein Führer, où ai-che la tête ?" fit Hans.

- "Dans le tonneau, grosse andouille," s'écrièrent en choeur les assiégés morts de rire.

- "Maudits Vranzais, fous allez foir ce que fous allez foir," leur cria Adolf.

Helmut et Hans avec d'infinies précautions chargèrent le tonneau et son précieux contenu dans la catapulte. Ils tendirent la corde et attendirent le signal. Les assiégés, dans le donjon, retenaient leur souffle.

- "Vais addenzion, Hans, zes enchins-là, z'est drès dancheureux, prévint Helmut.

- "Jawohl, répondit Hans quelque peu inquiet, zurdout quand on n'a pas de gasque."

- "Ein , zwei, drei, Feuer," hurla Adolf.

La catapulte se détendit brusquement et le tonneau s'éleva gracieusement dans les airs. Hélas, encore une fois, le réglage de la catapulte aurait demandé à être amélioré; car au lieu de partir vers le donjon, le tonneau s'éleva parfaitement à la verticale. Arrivé à l'apogée de sa trajectoire, il se retourna délicatement et se mit à répandre en pluie fine son contenu sur l'armée allemande stupéfaite.

Adolf pensait s'en tirer à bon compte, car, en tant que caporal-chef, il était seul autorisé à porter une casquette. Mais hélas c'est sur lui que le tonneau, une fois vidé, tomba, endommageant irrémédiablement sa casquette.

Les assiégés une fois de plus étaient morts de rire. Ils envoyèrent aussitôt un émissaire, chargé de leurs propres tonneaux, demander aux Allemands s'ils voulaient bien être assez aimables pour recommencer l'expérience.

- "Jawohl, répondit Hans, mais d'apord il vaut que notre Führer corriche le réglache de la gadabulde."

- "Dais-doi, impézile," hurlait Adolf d'une voix assourdie, en essayant de sortir la tête du tonneau.

Les soldats allemands étaient d'avis qu'on envoie Hans et Helmut aux assiégés, directement, au moyen de la catapulte, dès qu'on aurait réussi à la régler. Adolf quant à lui hésitait entre les pendre, les écarteler, les décapiter, ou le tout à la fois.

Mais en définitive, ils ne furent condamnés qu'à une peine relativement légère. Ils furent chargés de nettoyer le campement, et de faire la lessive de toute la troupe.

- "Ach, Helmut, disait Hans, la guerre, gross malheur !"

- "Jawohl, Hans, sehr gross malheur, répondait Helmut, mais vais addenzion afec da brosse, ch'en ai encore rezu dans l'oeil !"

- "Allez, gourache, ricanait Adolf méchamment, blus gue guadre-fingt dix-neuf ans et la Guerre de Zent ans zera vinie. On bourra rendrer gez nous !"

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Hans et Helmut dans les tranchées


Nous étions en 1917, au plus fort de la Première Guerre mondiale. Depuis six mois, la troisième armée allemande, commandée par le Maréchal Johannes Sebastian Rommel, et la septième armée française, commandée par le Maréchal Nouvoici, se faisaient face. Chacune avait creusé son propre réseau de tranchées, et personne ne s'aventurait à mettre le nez dehors, sous peine d'une mort certaine et subite.

Hans et Helmut, soldats de seconde classe, et Adolf, leur caporal-chef, s'ennuyaient à mourir. Leur moral était épouvantable, d'autant qu'ils ne disposaient pour toute nourriture que de chou presque toujours avarié; alors que les Français passaient le plus clair de leur temps à s'empiffrer de saucisson, de rillettes, d'andouille, de fromage de tête et de bifteck frites, le tout arrosé d'énormes quantités de Beaujolais-Villages.

Après dîner, ils poussaient même l'indécence jusqu'à chanter à tue-tête, de leurs voix avinées, des chansons obscènes auxquelles les pauvres Allemands ne comprenaient rien.

- "Bien le bonjour, Madame Bertrand, vous avez des filles, vous avez des filles."

Ou bien encore:

- "De Nantes à Montaigu, la digue la digue, de Nantes à Montaigu, la digue du cul."

Les Allemands, la nuit, que les ronflements des Français empêchaient de dormir, en étaient réduits, pour se distraire et essayer de digérer le chou, à imiter le cri au clair de lune du loup de Forêt Noire.

- "A quoi reconnaît-on le loup allemand ?" se moquaient les Français.

- "C'est le seul qui porte une casquette et des bottes." riaient-ils entre eux grassement.

Adolf ne décolérait pas.

- "Maudits Vranzais, za ne ze bazzera bas gomme za," hurlait-il à longueur de journées.

Et pourtant, le pire était à venir.

Les maudits Français inventèrent en effet, un beau jour, un jeu d'un particulier mauvais goût. Ils avaient remarqué que dans l'armée allemande, nombreux étaient les soldats prénommés Hans. Si on se mettait à crier "Hans", se dirent-ils, il y en aurait forcément bien un qui répondrait.

Ce qui fait qu'une après-midi vers trois heures, alors que les Français finissaient leur cognac et les Allemands leur soupe au chou, on entendit crier, venant de la tranchée française: "Hé, Hans, t'es là ?"

Hans aussitôt se leva d'un bond, renversant sa soupe sur les genoux d'Helmut, sortit vivement la tête de la tranchée et hurla en agitant les bras: "Jawohl, jawohl, ich bin hier !"

Une série de détonations se fit alors entendre, et une douzaine de balles de gros calibre perforèrent le casque de Hans, le rendant définitivement inutilisable.

Adolf arriva en courant, et devint fou furieux en constatant l'état du casque.

- "Ein gasque dout neuf ! Gross impézile ! Che t'ai déchà dit zent vois de ne chamais meddre la dêde hors de la dranjée," hurlait-il.

- "Ach, mein Führer, che suis déssolé, che croyais que z'était mon coussin Günter," s'excusait Hans piteusement.

C'est alors qu'un nouveau cri se fit entendre, venant à nouveau de la tranchée d'en face: "Hé, Adolf, t'es là ?"

Adolf instantanément se mit au garde-à-vous, leva la tête hors de la tranchée, et hurla en direction des Français: "Jawohl mein Maréchal."

Ce sur quoi il reçut lui aussi une douzaine de balles dans sa belle casquette de caporal-chef.

Il devint tout rouge et se mit à piétiner rageusement les restes de sa casquette, pendant que Hans et Helmut rigolaient doucement en attendant d'aller éplucher les choux pour la soupe du soir.

Adolf néanmoins revint peu après, coiffé d'une casquette neuve et portant sous le bras un nouveau casque pour Hans.

- "Vais-y addenzion à zelui-là, gross idiot, il n'y en a blus beaugoup dans le magassin." dit-il à Hans.

- Jawohl mein Führer, fit Hans, che fous chure que zes maudits Vranzais ne m'auront pas deux vois. D'ailleurs, che sais bien que mon coussin Günter n'est bas afec eux. "

Pourtant, le lendemain à la même heure, le casque de Hans et la casquette d'Adolf furent à nouveau irrémédiablement détériorés. Et pareil le surlendemain, ainsi que les dix jours qui suivirent. Les Français y avaient pris goût. Ils jouaient aux dés pour savoir qui allait tirer sur sur Hans et Adolf la prochaine fois.

Adolf ne décolérait plus. Et comme si cela ne suffisait pas, il était à présent obligé de porter un casque, comme tout le monde, vu qu'il n'y avait plus de casquettes dans le magasin.

Un soir, en revenant du magasin, Adolf se mit à regarder Hans haineusement et lui dit:

- "Che te bréfiens, gross apruti, z'est le dernier gasque du magassin. Zi du de le vais drouer, du n'auras gu'à meddre une de mes fieilles gasquettes."

Et, très content de lui-même, il se mit à rire bruyamment en se tapant sur les cuisses et en répétant:

- "Ach ! Kolossale blaissanderie ! Grosse finesse !"

Mais Helmut intervint.

- "Jawohl mein Führer, sehr gut blaissanderie, mais che crois que ch'ai une itée."

- "Was itée, gross crétin ?" demanda Adolf, s'attendant déjà au pire.

- "Zes maudits Vranzais, poursuivit Helmut, on fa leur vaire la même chosse. Che sais drès bien que chez eux, il y en a blein qui s'abbellent Maurice. Che fais me gacher afec le vuzil, Hans griera: "Maurice, wo bist du ?", et che n'aurai gu'à direr zur dout ze qui bouche."

- "Ach ! Za baraît une bonne itée, fit Adolf. Beut-êdre, zi za marge, che fous dizbenzerai d'éblucher les choux ze zoir."

Ils se mirent donc en place sans plus attendre.

- "Hans, mets don gasque, z'est blus brudent," fit Helmut.

- "Ach, jawohl Helmut, mais che ne le troufe blus," fit Hans.

- "Z'est barze gue il est zur da dêde, gross impézile, cria Adolf.

Et l'idée de Helmut, en effet, marcha au-delà de toute espérance. Mis à part que lorsque Hans eut crié: "Maurice, wo bist du ?", Helmut eut beau scruter l'horizon, rien ne bougea. Par contre on entendit, quelques secondes plus tard, venant de la tranchée française, une voix s'écrier: "Oui, je suis là, Hans; et toi, t'es où ?"

Ce sur quoi Hans se releva en sursaut, renversant Helmut, qui planta malencontreusement sa baïonnette dans la cuisse gauche d'Adolf, et s'écria: "Ach, Guten Tag, Maurice, che zuis là.", détruisant ainsi le dernier casque du magasin. Et les Français eurent même la méchanceté d'ajouter: "Et toi aussi, Adolf, t'es là ?"

Le soir même, alors qu'ils nettoyaient les latrines, Hans, qui tenait la pelle, disait à Helmut, qui tenait le seau:

- "Ach, Helmut, la guerre, gross malheur !"

- "Jawohl, Hans, sehr gross malheur, répondait Helmut, mais vais addenzion afec la belle, ch'en ai encore rezu zur les bieds !"

- "Ach, za borde bonheur, ricanait Adolf méchamment. Zurtout le gauge."

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Hans et Helmut sur le mur de l'Atlantique


Nous étions en en 1942, en Bretagne, et en plein milieu de la Seconde Guerre mondiale. La région hélas était occupée par les Allemands, sous le commandement du Maréchal Wolfgang Amadeus Rommel. Hans et Helmut, soldats de seconde classe, et Adolf, leur caporal-chef, s'ennuyaient à mourir. Ils étaient pourtant stationnés dans un ravissant petit village en bord de mer, que ses habitants, nul ne savait pourquoi, avaient récemment rebaptisé Fridolin-sur-Plage.

Le travail de Hans et de Helmut consistait essentiellement à surveiller la mer jour et nuit, au cas ou ces maudits Anglais auraient eu l'idée de débarquer en France par surprise. Pour les en empêcher, les Allemands avaient eu l'intelligence de construire le long des côtes une multitude de fortifications en béton, toutes plus coquettes les unes que les autres, et toutes merveilleusement équipées de mitrailleuses et de canons en tous genres.

C'est dans un de ces blockhaus, comme les avaient surnommés les Français, que Hans, Helmut et Adolf, leur chef chargé de les surveiller, montaient la garde. Mais ils avaient beau scruter l'océan avec leurs jumelles, les Anglais tardaient à débarquer.

- "Z'est zûrement à gause du maufais temps," disait Hans.

- "Ou beut-êdre gu'ils ze zont berdus dans le prouillard, zes impéziles," conjecturait Helmut.

- "Daisez-fous, grossen idioten, fous allez leur vaire beur," chuchotait Adolf.

Leur moral était épouvantable. Tout ce qu'il y avait à voir, là où ils étaient, c'était le phare, dont la lumière et la corne de brume les empêchaient chaque nuit de fermer l'oeil. Et pour couronner le tout, conformément aux traditions de l'armée allemande, ils étaient exclusivement nourris de soupe au chou.

Un matin pourtant, Adolf revint du village tout souriant, ce qui chez lui était très inhabituel.

- "Hans ! Helmut ! Ch'ai rezu ein gross mandat de ma tante, la grosse Bertha. Z'est la pelle-zoeur du Maréchal Sigmund Rommel. Che fous infite au restaurant. On fa mancher un kolossal blateau de vruits de mer. Ch'en rêfe debuis le déput de la guerre."

Hans et Helmut étaient fous de joie.

- "Ach ! Danke schön mein Führer ! Z'est drès aimaple à fous," remerciait Helmut.

- "Ja, mais gu'est-ze gue z'est les vruits de mer ?" demandait Hans.

- "Z'est gomme la jougroude, mais afec des goquilles," rigolait Adolf.

Le soir même, donc, ils se rendirent tout joyeux dans le restaurant le plus chic de Fridolin-sur-Plage, poétiquement baptisé "La moule rieuse". Ils commandèrent le plus énorme et le plus cher plateau de fruits de mer de la carte. Tellement cher d'ailleurs que tout le mandat de la grosse Bertha allait y passer.

- "Za ne vait rien, disait Adolf, l'imbordant z'est qu'on fa ze régaler."

Hélas, leur déconvenue fut grande lorsqu'ils virent arriver le fameux plateau de fruits de mer. Il se composait, ce plateau, d'une demi-douzaine d'huîtres qui répandaient une odeur épouvantable, de trois ou quatre langoustines trop cuites, de quelques misérables crevettes grisâtres, d'une poignée de bigorneaux anémiques, et de quelques coquilles de moules vides, pour la décoration.

Comme ils se trouvaient dans un restaurant très chic et qu'ils n'avaient pas envie de se faire remarquer, ils ne firent d'abord aucune remarque et commencèrent à manger à contrecoeur et en silence. Ils auraient bien aimé faire passer le gôut des fruits de mer en buvant du vin, mais il n'y en avait pas en cette saison, leur avait-on dit.

Mais vers la fin du repas, juste après que Hans et Helmut soient allés vomir pour la deuxième fois, Adolf explosa.

- "Maudits Vranzais, dit-il à Hans et à Helmut, za ne ze bazzera bas gomme za. Maîdre d'hôdel, che fous brie !"

- "Ja," fit celui-ci en s'approchant.

- "Afez-fous déchà fu un bladeau de vruits de mer ?" commenca Adolf.

- "Ja," répondit le maître d'hôtel.

- "Eh pien moi auzzi, ch'en ai fu, fit Adolf, mais che peux fous dire que des comme zelui-là, chamais."

- "Ja," opina le maître d'hôtel.

- "On tirait que les goquillaches ze zont envuis en Anglederre," poursuivit Adolf, impitoyable.

- "Ja, Ja," persista le maître d'hôtel.

Hans et Helmut, malgré leurs nausées, se mirent à se tordre de rire.

- Ach, mein Führer ! Les goquillaches ze zont envuis en Anglederre. Kolossale blaissanderie ! Wunderbar, mein Führer," s'écriaient-ils hilares.

- "Ja," renchérit le maître d'hôtel.

Adolf était de plus en plus rouge.

- "Arrêdez de dire Ja dout le demps, gross impézile. Che fais vous vaire vuziller," hurla-t-il.

- "Ja," répondit une fois de plus le maître d'hôtel.

Attiré par le bruit, le chef de cuisine s'était approché de la table. Il fit signe au maître d'hôtel de s'éloigner.

- "Excusez-le, Monsieur l'officier, fit-il, c'est Mouloud, le cousin de ma femme Aïcha, que j'ai rencontrée pendant mon service militaire au Maroc. Il est très gentil et très efficace, mais il ne parle pas bien l'allemand. A vrai dire il ne connaît qu'un seul mot."

- "Ja ?" demanda Adolf.

- "Oui, Ja, fit le chef de cuisine, comment vous en êtes vous aperçu ?"

Adolf poussa un gros soupir et ne dit plus rien. Le chef de cuisine était un individu particulièrement répugnant, terriblement costaud, avec une grosse moustache et des poils partout sur les bras et sur la poitrine.

De plus, Hans et Helmut avaient remarqué qu'il portait, sur un de ses énormes avant-bras, un tatouage qui disait: "A bas les chleuhs".

- "Gu'est-ze gue z'est, les Jleuhs ? demanda Hans à l'oreille de Helmut.

- "Dais-doi, impézile, du fas nous vaire remarguer," chuchota Helmut en lui donnant un grand coup de pied sous la table.

- "Au fait, Monsieur l'officier, il vous a plu, mon plateau de fruits de mer ?" demanda le chef de cuisine à Adolf en le regardant droit dans les yeux.

- "Ja, répondit Adolf faiblement, mais che fous zignale que che ne zuis pas ovvizier."

- "Ja, Ja, sehr gut, le bladeau, Monzieur," firent Hans et Helmut en essayant de paraître enthousiastes, et tout en continuant à cracher quelques morceaux de langoustines avariées.

Adolf s'était mis à mordre la visière de sa casquette pour s'empêcher de vomir.

- "Parfait, dit le chef de cuisine. Revenez-donc quand vous voudrez. Vous serez toujours les bienvenus. Surtout vous, Monsieur l'officier. Mouloud, viens débarrasser la table de Monsieur l'officier."

- "Ja," fit Mouloud qui arriva ventre à terre.

Sans un mot de plus, il se saisit de la casquette d'Adolf et commença à la remplir scrupuleusement avec les détritus des fruits de mer. Adolf poussa un hurlement.

- "Rends- moi ma gasguette, impézile, elle est doude neufe."

- "Ja," répondit Mouloud, qui replaça immédiatement la casquette sur la tête d'Adolf.

Ce dernier, couvert de coquilles d'huîtres et de restes de crevettes, se leva péniblement et alla régler l'addition au chef de cuisine, qui se bouchait le nez à cause de l'odeur. Puis ils repartirent tous les trois vers leur blockhaus.

Heureusement, Helmut et Hans, sur le chemin du retour, eurent bien vite retrouvé leur bonne humeur naturelle.

- "Ach, mein Führer, faisait Hans en rigolant, fous afez eine moule dans l'oreille."

- "Et ein picorneau dans le nez," s'étranglait Helmut.

Jusqu'à ce qu'Adolf, fou de rage, leur dise:

- "Eh pien, buizgue z'est gomme zà, z'est fous qui irez les ramazzer, les goquillaches, zur les rogers là-pas, et dous les chours engore."

Hans et Helmut n'avaient plus qu'à obéir. Mais quand ils revinrent, le lendemain, de leur première pêche, ils n'avaient pas attrapé le moindre coquillage, et de plus, ils étaient, dans leur uniforme, trempés des pieds à la tête .

- "Gu'est-ze gue fous afez engore vait ?" demanda Adolf, une fois de plus furieux.

- "Ach, mein Führer, che ne gomprends bas, dit Hans. Les rogers zont dezzendus à un mèdre zous l'eau. On ne beut bas addraber les coquillaches.

- "Et moi, mein Führer, ch'ai vailli me noyer, fit Helmut. Che ne zais pas nacher."

- "Z'est barce gue z'est marée haute, impéziles, hurla Adolf. Les coquillaches, za ze bêche à marée passe."

- "Ach, sehr gut mein Führer, dit Helmut. Che te l'afais dit, gross apruti," fit-il à Hans en lui crachant un gros paquet d'algues à la figure.

Dans les jours qui suivirent, ils ne retournèrent donc à la pêche aux coquillages que lorsqu'ils étaient bien sûrs que la marée était basse pour un grand moment.

- "Hans, basse-moi l'ébuissette," disait Helmut.

- "Jawohl, Helmut, répondait Hans, ach, mais che ne troufe pas mes boddes."

- "Du les as dans des bieds, gross impézile, disait Helmut excédé. Tépêje-doi afant gue la marée monde."

Hélas, les coquillages que Hans et Helmut rapportaient chaque matin, après des heures de labeur harassant, n'étaient pas très nourrissants. C'étaient essentiellement des étoiles de mers, des crabes minuscules, des coquilles de moules et des bigorneaux vides.

- "Za ne ze manche pas," hurlait Adolf.

- "Jawohl mein Führer, faisait Hans, mais les édoiles de mer, z'est drès choli."

- "Et les grabes, z'est drès affecdueux," ajoutait Helmut.

Au bout de quelques semaines d'efforts infructueux, ils se remirent donc à la soupe au chou. Or il advint un matin que le chauffeur de la camionnette de ravitaillement fit une erreur funeste, en leur livrant, à la place de leur ration de chou, trois douzaines de canettes de bière mexicaine, initialement destinées personnellement au Maréchal Sigmund Rommel, qui était de passage dans la région.

Exceptionnellement, Adolf n'était pas là. Hans et Helmut se consolèrent aisément de son absence. Lorsqu'ils eurent terminé la bière, ils se sentaient de très bonne humeur. Le soir tombait.

- "Ch'ai une itée, fit Hans pris de fou-rire. Et zi on dirait zur le phare ?"

- "Ach, wunderbar, Hans, répondit Helmut tout aussi hilare, che fais essayer de droufer nos vuzils."

Ils se mirent donc sans plus attendre à tirer toutes leurs munitions sur le phare, mais sans jamais l'atteindre. Cela finit par les énerver.

- "Ach, grogna Hans, ze n'est pas trôle. Il est drop loin, ze phare."

- "Buizque z'est gomme za, on fa direr zur les pateaux, dit Helmut. Chusdement, ch'en fois un qui arrife."

Effectivement, un bateau arrivait. C'était Adolf, accompagné de Mouloud, lequel avait ce jour-là emprunté la barque de son patron, le chef de cuisine du restaurant "La moule rieuse". Ils avaient passé toute la journée à la pêche à la sardine, sans en attraper une seule. Adolf commençait à avoir l'impression que les sardines n'aimaient pas le chou.

Hans et Helmut se mirent donc à concentrer leurs tirs sur la barque, qui n'était qu'à quelques dizaines de mètres d'eux, et qu'ils pouvaient donc difficilement rater. Ce qui fait qu'au bout d'un petit quart d'heure, la barque commença à couler, et qu'Adolf et Mouloud durent rentrer à la nage.

Adolf fut longtemps d'humeur exécrable. Dans la confusion, il avait en plus perdu sa casquette. Et il dut en outre écrire de nouveau à sa tante, la grosse Bertha, pour lui quémander un autre mandat, afin de rembourser la barque du chef de cuisine.

Et c'est ainsi que par représailles, Hans et Helmut furent invités à attendre l'arrivée des Anglais, non plus dans le blockhaus, mais dans le phare.

- "Ach, Helmut, la guerre, gross malheur !" disait Hans.

- "Jawohl, Hans, sehr gross malheur, répondait Helmut, mais dezzends donc la boupelle, che grois gue les époueurs bazzent temain."

- "Hans, Helmut, ne fous entormez bas, z'est l'heure de zouvvler dans la gorne de prume," leur hurlait Adolf tous les quarts d'heure, depuis le blockhaus.

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Hans et Helmut en Haute-Savoie


Nous étions en 1944, en plein milieu du début de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Hans et Helmut, soldats de seconde classe, et Adolf, leur caporal-chef, s'ennuyaient à mourir. Ils avaient attendu pendant trois ans l'arrivée des Anglais en Bretagne, mais désormais ce n'était plus la peine, puisque les Anglais étaient arrivés en Normandie. Comme donc il n'y avait plus rien à surveiller sur le mur de l'Atlantique, ils furent envoyés ailleurs, plus précisément en Haute-Savoie, près d'Annecy, où les restes de l'armée allemande étaient commandés par le Maréchal Gustav Rommel. Leur tâche consisterait à lutter férocement contre la Résistance, très redoutable en cette région.

- "Ach, che zuis bien gondent, fit Adolf en partant, za fa nous chancher de zes maudits vruits de mer, gui me rentent dout le demps malate."

Mouloud et le chef de cuisine du restaurant "La moule rieuse", avec qui ils avaient fini par se lier d'amitié, étaient venus les saluer avant leur départ.

- "Allez, au refoir Mouloud, firent Hans et Helmut, ezzaie d'abbrendre un beu l'allemand."

- "Ja," dit Mouloud comme d'habitude.

- "A bas les Chleuhs, cria le chef de cuisine en essuyant furtivement une larme. Nom de Dieu ! Je perds mes meilleurs clients."

Le voyage, qu'ils effectuèrent dans une bétaillère réquisitionnée pour la circonstance, fut très éprouvant. Mais au bout de sept jours, ils aperçurent enfin le lac d'Annecy.

- "Ach, mein Führer, on z'est drombés de roude. Z'est engore la mer," s'écria Hans.

- "Mais non, impézile, fit Helmut, z'est zeulement la rifière qui est en grue."

- "Hans ! Helmut ! leur cria Adolf. Ze n'est blus le moment de blaissander. Daissez-fous et égoutez-moi. Izi, il fa valloir vaire drès addenzion. Zes réssizdants zont drès danchereux, et ils ne nous aiment pas du dout. Et en blus, ils n'ont même bas d'univormes.

- "Ach, mein Führer, demanda Hans, mais alors gomment on les regonnaît ?"

- "On les regonnaît barze gue tès gu'ils te foient, ils de dirent tessus, gross idiot, " répondit Adolf sur un ton sinistre.

Adolf, Hans et Helmut, donc, dans leur petit village de Fridolin-sur-Lac, furent au début extrêmement prudents. C'est à peine s'ils mettaient le nez dehors autrement que pour aller chercher leur ration de chou. Ils commencèrent par conséquent, au bout de quelques semaines, à s'ennuyer de nouveau à mourir. Aussi Adolf un matin décida-t-il qu'ils iraient faire une petite patrouille dans la forêt toute proche. Il s'était au préalable renseigné à la Kommandantur, il n'y avait pas l'ombre d'un résistant à cinquante kilomètres à la ronde.

- "Il vaut guand même vaire addenzion, dit Adolf. Hans, Helmut, fous n'aurez gu'à meddre fotre gasque zous le pras, gomme za on nous brendra pour des gueilleurs de jambignons."

- "Ach, grosse ponne itée, mein Führer, mais et fous, afec fotre gasquette ?"

- "Che fais meddre la fizière de l'autre gôdé de ma dêde, gomme za ch'aurai l'air d'un dourizde," fit Adolf avec finesse.

- "Ach, wunderbar mein Führer, s'écria Hans. Aber, foilà que che ne droufe blus mon vuzil."

- "Il est terrière don tos, gross impézile, s'énerva une fois de plus Adolf.

- "De doude vazon, tu n'en auras pas pessoin bour les jambignons," rigola Helmut.

- "Zurdout gue les jambignons, za ne gourt bas drès fite," insista Adolf malicieusement.

Ils se mirent donc en route, et arrivèrent bientôt sur un étroit sentier forestier. Hans et Helmut auraient bien voulu chanter cette vieille chanson française que Mouloud leur avait apprise, celle qui disait, entre autres: "Fous afez des filles gu'ont le gul drop grand." Mais Adolf, par crainte des résistants, leur imposait le silence.

Mais voilà qu'ils aperçurent soudain, venant vers eux sur le chemin, un vieil homme qui portait un panier.

- "Zoyons brudents, chuchota Adolf, z'est beut-êdre un réssizdant."

- "Bonjour, Monsieur l'officier, " fit le vieil homme en soulevant sa casquette.

- "Ponchour, Monzieur. Guelle pelle chournée, n'est-ze-bas ? répondit Adolf, cherchant la visière de sa casquette sans se souvenir qu'elle était dans son dos.

- "Ah ben oui, une belle journée, pour sûr que oui. Mais ça serait-y pas que vous chercheriez des champignons, par hasard ?" fit le vieillard.

- "Foui, z'est exacdement za," fit Adolf, fou de joie que sa ruse ait si bien fonctionné.

- "Beut-êdre gue fous bourriez nous tire où ils zont ?" demanda Hans poliment.

- "Ah ben oui, que je sais où ils sont, pour sûr que oui, fit l'ancêtre avec un grand sourire. Mais ça, je le dis pas aux étrangers, pour sûr que non. C'est que pour les Savoyards, pour sûr que oui."

- "Gomment za, gue bour les Zafoyards ! Che zuis Zavoyard, moi Monzieur, se mit à hurler Adolf. Dites-nous dout de zuite où ils zont, zes jambignons, ou che fous vais vuziller. Maufais Vranzais ! Zabodeur !"

- "Ah ben oui, Monsieur l'officier, fit le vieil homme effrayé, si vous insistez je vais vous le dire, pour sûr que oui. Faites encore cinq cents mètres, et vous en trouverez plein le sous-bois sur votre gauche. Vous les reconnaîtrez facilement, ils sont tout rouges avec des pois blancs. Mais dites à personne que c'est moi qui vous l'ai dit. Pour sûr que non."

- "Ch'esbère gu'ils zont pons, zes jambignons" dit Adolf soupçonneux.

- "Ah ben oui, qu'ils sont bons, pour sûr que oui, dit le vieux, même qu'après en avoir mangé, vous n'aurez plus envie de rien d'autre. Allez, au plaisir, Monsieur l'officier."

- "Au blaissir, Monzieur, fit Adolf radouci. Ach, bour fotre invormazion, che dois fous tire gue che ne zuis pas ovvizier."

- "C'est tout à votre honneur, Monsieur l'officier, pour sûr que oui," dit le vieil homme en s'éloignant.

Hans, Helmut et Adolf se précipitèrent vers le sous-bois que leur avait indiqué le vieux, et y découvrirent effectivement d'énormes quantités de champignons rouges à pois blancs. Ils se mirent à les ramasser avec ardeur.

- "Nein, nein, disait Adolf, ne les meddez bas tans fos gasques. Za fa les apîmer. On fa les meddre tans ma gasquette."

- "Ach, mein Führer, gu'est-ze gue za feut tire, Poches ?" demanda Hans soudain.

- "Che ne zais bas, répondit Adolf, bourguoi ?"

- "Barze gue le fieux Monzieur, dit Hans, il afait un dadouache zur le pras où z'était égrit "Mort aux Poches."

- "Nein, che n'en zais rien, fit Adolf, et bourdant che barle drès pien vranzais. Oggupe-doi tonc des jambignons, barezzeux."

- "On lui temantera la zemaine brochaine", dit Helmut pour conclure.

Ils redescendirent vers le village tous les trois de très bonne humeur. Hans et Helmut marchaient devant en chantant: "Elles ont des guls gomme des marmides", et Adolf les laissait faire.

Le sentier était très fréquenté par les paysans, et de ce fait était généreusement recouvert de crottin de cheval. Lorsque Hans et Helmut en apercevaient un gros tas bien frais, ils attendaient qu'Adolf arrive dessus et se mettaient à crier: "Ach ! Mein Führer ! ein afion !" Adolf aussitôt se mettait à scruter le ciel en criant: "Où za ein afion ? Où za ?", et se retrouvait donc les deux pieds dans le crottin. "Che me fencherai," ruminait Adolf pendant que Hans et Helmut riaient comme des ânes.

- "Helmut ! Hans ! fit-il soudain. Arrêdez-fous une zeconde. Je fais fous vaire eine bedide vodogravie. Zoufenir bour fos vianzées."

- "Ach ! Danke schön mein Führer, firent Hans et Helmut étonnés. Z'est drès aimaple à fous."

- "Meddez-fous là, zur le gôté, et regulez un beu," fit Adolf.

- "Gomme za ?" demandèrent Hans et Helmut.

- "Engore un beu, Ja, encore un beu, on y est bresgue," dit Adolf.

- "Sehr gut, mein Führrrrrrr....," firent Hans et Helmut, qui venaient de tomber dans le ravin.

Lorsqu'ils réapparurent, une demi-heure plus tard, couverts de boue et avec leurs uniformes en lambeaux, Adolf n'avait toujours pas fini de hurler de rire en courant en tous sens.

- "Ach mein Führer, ze n'est bas drès chentil, fit Hans. En blus, ch'ai berdu mon gasque."

- "Et moi mon vuzil." fit Helmut.

- "Redournez les chercher, impéziles, dit Adolf sadiquement. Moi, ch'ai bertu mon abbareil vodo. Et à brézent, vaides addenzion aux afions."

Rentrés au village, ils allèrent sans tarder voir le pharmacien, pour s'assurer que les champignons étaient bien comestibles. "Oufrez, Monzieur Maréchal, oufrez," criait Adolf en tambourinant sur la porte. "Me voilà, me voilà," fit Monsieur Maréchal vingt minutes plus tard. "J'étais aux cabinets."

Le pharmacien était un homme très âgé, à la voix chevrotante, qui, à cause d'un dentier mal posé, postillonnait énormément. Il était en outre très sourd. Il portait en permanence un vieux képi de la Première Guerre mondiale, et ne se déplaçait qu'avec l'aide d'un bâton. Quand on lui demandait pourquoi, à quatre-vingt dix ans passés, il ne prenait pas sa retraite, il répondait qu'il avait fait don de sa personne à la pharmacie, et qu'il n'en sortirait que pour aller se faire enterrer, à l'Ile d'Yeu dont il était originaire, avec son képi et son bâton.

Il n'était pas rare que les enfants des écoles se rassemblent devant son officine et se mettent à crier: "Monsieur Maréchal ! Monsieur Maréchal ! Nous voilà !" N'écoutant que son grand coeur, le pharmacien leur distribuait alors des suppositoires et des pommades contre les hémorroïdes, en ajoutant parfois malicieusement: "Encore un suppositoire que les Boches n'auront pas."

Adolf présenta donc à Monsieur Maréchal sa casquette débordante des fameux champignons rouges à pois blancs.

- "Ah, Monsieur l'officier, fit le vieux pharmacien après trois quarts d'heure d'un examen minutieux, ce sont des annamites phalloïdes, des champignons très nocifs pour la santé. Je vous en supplie, Monsieur l'officier, ne les mangez pas."

- "Fous êtes zûr ?" demanda Adolf soupçonneux.

- "Ah, Monsieur l'officier, s'emporta Monsieur Maréchal en postillonnant à tout va, les champignons ne mentent pas. Je hais ces champignons qui nous ont fait tant de mal. Nous avons commis trop de fautes. C'est à cause du Front Populaire et des congés payés. Voilà la vérité !"

- "Drès pien, drès pien, fit Adolf toujours aussi soupçonneux, ne fous énerfez pas, Monzieur Maréchal. Et arrêdez de me gracher tessus, che fous brie. Au blaissir, Monzieur Maréchal. Ach, mais che fous rabbelle gue che ne zuis bas ovvizier."

- "Eh bien moi je le suis, fit Monsieur Maréchal toujours aussi énervé, et en envoyant une dernière salve de postillons à la figure d'Adolf. J'étais sergent-chef pendant la guerre de Crimée, sous les ordres du Maréchal Nourvoissi, si vous voulez le savoir. Mais cela dit, n'hésitez pas à revenir me voir, si vous avez besoin de suppositoires. A bientôt, Monsieur l'officier."

En regagnant le logement de fonction, et en finissant de s'essuyer le visage, Adolf paraîssait pensif.

- "Ach, ze Monzieur Maréchal est ein réssizdant, ch'en suis zûr, réfléchissait-il tout haut. Il ezzaie de nous embêcher de mancher zes exzellents jambignons. Che le verai vuziller demain madin ! Zabodeur ! Maufais Vranzais !"

- "Jawohl, mein Führer, disait Hans pour essayer de le calmer, mais alors, gomment on vera bour les zuppozidoires ?"

- "Et bour mes hémorroïtes ?" ajoutait Helmut.

Le soir venu, Hans et Helmut se mirent à préparer les admirables champignons. Malgré les dénégations d'Adolf, ils n'étaient pas totalement rassurés.

- "Ils ont eine drôle d'oteur, zes jambignons," disait Hans.

- "Ja, gomme une oteur d'azide," répondait Helmut.

- "Ja, eine sehr maufaise oteur, mais bludôt gomme de l'algool à prûler," corrigeait Hans.

En dinant, les choses n'allèrent pas en s'arrangeant.

- "Ils ont auzzi ein trôle de goût," disait Hans.

- "Ja, un goût drès pissare, répondait Helmut. Che grois gue che brévère le chou."

- "Mais non, impéziles, faisait Adolf qui se régalait. Ils zont exzellents, zes jambignons. Tonnez-moi fotre bart, zi fous n'en foulez bas."

A la suite de ce repas mémorable, Hans et Helmut gardèrent le lit pendant quatre jours. Adolf, quant à lui, vomit sans interruption pendant deux semaines. Il ne se souvenait plus qu'il devait faire fusiller Monsieur Maréchal. Il ne supportait même plus l'odeur de la soupe au chou. Hans et Helmut, tant bien que mal, essayaient de le réconforter.

- "Ach, mein Führer, foulez-fous gu'on redourne chercher des jambignons ?" demandait Hans.

- "Nein, danke schön," répondait Adolf faiblement.

- "Mein Führer, précisait Helmut, il fa fous valloir une audre gasquette; les jambignons ont vait des drous dans la fôtre."

Au bout d'un mois, grâce à Dieu et aux suppositoires de Monsieur Maréchal, auxquels pourtant il trouvait comme un pénible arrière-goût de champignons, Adolf fut à nouveau sur pied. Il revint un matin du village extrêmement guilleret, ce qui chez lui n'était pas coutumier.

- "Hans ! Helmut ! Che fous infite au rezdaurant. Ch'ai rezu un mandat de ma dande Hildegarde, zelle gui est mariée afec le Maréchal Franz Siegfried Rommel. On fa mancher eine grosse raglette."

- "Ach, viele danke, mein Führer, firent Hans et Helmut qui se réjouissaient à l'avance. Mais gu'est-ze gue z'est, eine raglette ?"

- "Z'est du vromache fontu afec du champon et des bommes de derre. Z'est drès vin, drès déligat, se réjouissait Adolf. On fa ze récaler !"

Ils se rendirent donc le soir même au restaurant le plus chic du village, aimablement baptisé: "La moule du lac."

- "Eine raglette, bitte, crièrent-ils en choeur.

- "Ja," répondit le maître d'hôtel.

Mais au bout d'une heure et demie, quand on leur apporta la raclette, ils furent terriblement déçus. La raclette en tout et pour tout était composée de quatre pommes de terre dans un état de décomposition avancée.

- "Maîdre d'hôdel, che fous brie" hurla Adolf, furieux.

- "Ja," fit celui-ci.

- "Vaites-moi foir où est le vromache" demanda Adolf, impitoyable.

- "Ja," répondit le maître d'hôtel.

- "Et le champon," insista Adolf, croyant enfoncer le couteau dans la plaie.

- "Ja," poursuivit imperturbablement le maître d'hôtel.

- "Ach, mein Führer, intervint Helmut, z'est gurieux, che droufe gu'il rezzemple un beu à Mouloud."

Le visage du maître d'hôtel s'éclaira alors d'un large sourire.

- "Ja, se mit-il à crier. Mouloud. Cousin à Rachid, Mouloud. Fruits de mer. Madame Bertrand. A bas les Chleuhs !"

Adolf ne disait plus rien, il se contentait à présent de regarder les pommes de terre.

- "Ah ben dites, Monsieur l'officier, fit le chef de cuisine qui s'était approché, vous seriez bien aimable de faire un peu moins de bruit."

Le chef de cuisine ressemblait lui aussi à s'y méprendre à celui du restaurant "La moule rieuse", près du mur de l'Atlantique. Et lui aussi avait un tatouage sur l'avant-bras, sur lequel on pouvait lire: "Dehors les Fritz".

- "Mangez-donc vos pommes de terre pendant qu'elles sont chaudes," dit-il en regardant Adolf droit dans les yeux.

- "Ach, mais il n'y a bas de vromache ! Bas de champon !" fit Adolf d'une voix éteinte.

- "Figurez-vous que les Boches ont déjà tout emporté," répondit méchamment le chef de cuisine.

- "Z'est guoi, les Poches ?" demanda Hans.

- "Dai-doi, impézile, chuchota Helmut. Du fas nous vaire remarguer."

Ils durent donc ingurgiter leurs pommes de terre, bien entendu arrosées d'eau, puisque les Boches avaient bu tout le vin du restaurant, et s'en retournèrent à leur logement de fonction, après que Rachid, tout sourire, leur ait tenu la porte en criant joyeusement:"Ja ! Cousin Mouloud ! Fruits de mer ! Morts aux Boches !"

- "A bientôt Monsieur l'officier, dit le chef de cuisine. Je vous téléphonerai dès que j'aurai du fromage."

- "Che n'ai bas le télévone, répondit Adolf de plus en plus triste. Et en blus, che ne zuis bas ovvizier."

- "Ca ne fait rien, Monsieur l'officier, je vais demander à Mademoiselle Félicie Lagerbe, la postière, de vous le faire installer," dit poliment le chef de cuisine pour conclure.

Quelques semaines s'écoulèrent ensuite paisiblement, pendant lesquelles ils s'abstinrent totalement de champignons et de raclette. Mais un soir qu'Adolf était sorti, et alors qu'ils épluchaient paisiblement les choux du dîner, Hans et Helmut entendirent soudain une série de grondements épouvantables, cependant que le ciel s'illuminait d'éclairs. Ils furent pris de panique.

- "Helmut, cria Hans, ze zont les réssizdants gui nous addaguent."

- "Fite, Hans, cria Helmut, fa meddre la midrailleusse zur la roude."

- "Ach, jawohl, cria encore Hans, mais che ne droufe blus les munizions."

- "Elles zont audour de don gou, impézile," hurla Helmut.

Ils se mirent alors à tirer dans toutes les directions, alors que les explosions et les éclairs redoublaient. Aucun résistant n'était visible, mais leur maison, au bout d'un moment, commenca à être sérieusement endommagée par leurs tirs de mitrailleuse. Soudain ils aperçurent une voiture qui approchait.

- "Dire, Helmut, dire, ze zont eux !" hurla Hans.

- "Nein, nein , ne direz bas !" hurla Adolf, qui était dans la voiture, conduite par Rachid.

Tous les deux en effet avaient passé l'après-midi à pêcher sur le lac. Ils n'avaient du reste rien attrapé, à cause des Boches qui avaient déjà tout pêché, comme les avait avertis le chef de cuisine. Rachid avait ramené Adolf au restaurant, lui avait offert une pomme de terre, puis, comme l'orage menaçait, l'avait aimablement raccompagné dans la voiture du chef de cuisine.

Hans et Helmut, qui n'entendaient rien, continuèrent à tirer. Adolf et Rachid eurent tout juste le temps de sauter de la voiture avant qu'elle n'explose. La casquette d'Adolf était restée à l'intérieur.

Et c'est ainsi que pendant qu'Adolf écrivait à sa tante Gertrud, demi-soeur du Maréchal Wilhelm Otto Rommel, pour lui demander un petit mandat qui l'aiderait à rembourser la voiture du chef de cuisine, Hans et Helmut furent chargés de monter la garde, nuit et jour, au milieu du lac.

- "Ach, Helmut, la guerre, gross malheur !" se lamentait Hans en essayant de ramer. Mais heureussement gue Rachid nous a brêté za parque."

- "Jawohl, Hans, sehr gross malheur, mais z'est tommache gu'elle brenne l'eau, répondait Helmut en essayant d'écoper."

- "Hans, Helmut, leur criait Adolf depuis la rive, vaides addenzion aux zous-marins anglais. Il baraît gu'il y en a blein, bar izi."

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Hans et Helmut en Poitou-Charentes


Nous étions en 1996, bien longtemps après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Hans et Helmut, autrefois soldats de seconde classe, ainsi qu'Adolf, autrefois leur caporal-chef, avaient depuis bien des années remisé aux oubliettes leur uniforme, leur casque, leur casquette et leur fusil. Mais ils ne s'étaient pas pour autant perdus de vue. A intervalles réguliers ils dînaient ensemble, et, devant la soupe au chou, s'écriaient chacun leur tour en hurlant de rire: "Ach ! La guerre, gross malheur !"

Et lorsque Hans ou Helmut se mettait à répondre:"Jawohl, mein Führer.", Adolf faisait semblant de se mettre très en colère et tapait du pied en criant:

- "Nein ! Nein ! Che ne zuis blus fotre Führer ! La guerre est vinie ! Grossen idioten !"

- "Entschuldigung, mein Führer," répondaient alors Helmut et Hans en rigolant encore plus fort.

Il advint heureusement, un beau jour, que leur association d'anciens combattants leur proposa, pour un prix très modique, un magnifique séjour en France, où ils visiteraient, en particulier, le célèbre parc du Futuroscope, près de Poitiers.

Hans, Helmut et Adolf s'inscrivirent avec enthousiasme.

- "Za fa nous rabbeler le pon demps," trépignait Adolf.

- "Jawohl, mein Führer, le mur de l'Adlantigue, les vruits de mer, et Mouloud," disait Hans, tout ému.

- "Et la Haute-Zafoie, les bommes de derre, le lac, les jambignons, et Rachid," poursuivait Helmut.

- "Et Monzieur Maréchal, le varmazien, se souvenait Adolf, tout ému lui aussi. Dous les ans, che lui enfoie eine garde bozdale".

Tous les trois partirent donc un matin en autocar pour la France. Leurs épouses étaient restées à la maison, car, comme disait Adolf:

- "Ze n'est pas la beine d'emborder za pière à Münich. A nous les bedides Vranzaises."

- "Drès chusde, mein Führer, répondait Hans, et za fa nous faire des égonomies."

- "Ach, ch'ai ajeté douze boîtes de brézervatifs," se vantait Helmut.

Le voyage, malheureusement, prévu pour durer huit heures, en dura quarante-trois, à cause d'une inexplicable succession de pannes en tout genre. Pourtant le véhicule avant son départ avait été inspecté dans le moindre détail chez un garagiste d'origine française, Monsieur Emile Morauboche. Le chauffeur, également d'origine française, était un homme de toute confiance, qui s'appelait Monsieur Félix Abaleschleus. C'était à n'y rien comprendre. Mais il en aurait fallu bien plus pour entamer le moral de Hans, Helmut et Adolf, qui, pendant les quarante-trois heures de trajet, ne cessèrent de se relayer pour chanter les vieilles chansons françaises qu'ils avaient apprises autrefois.

- "Pien le ponchour, Matame Perdrand, fous afez tes filles, fous afez tes filles."

Ou bien encore:

- "Te Nandes à Mondaigu, la tigue la tigue, Te Nandes à Mondaigu, la tigue du gul."

Enfin, ils arrivèrent à proximité du célèbre parc du Futuroscope, près de Poitiers. Malheureusement, en raison de leur retard, l'hôtel qui leur avait été réservé ne pouvait plus les recevoir. Les propriétaires, Messieurs Ilnauronpalalsace et Laloraine, furent extrêmement désagréables. Ils osèrent même leur dire que si ça ne leur plaisait pas c'était pareil, et qu'ils n'avaient qu'à rentrer chez eux manger du chou.

- "Ach! Zes Vranzais ne zont pas drès aimaples," disait Hans.

- "Guel malheur gue la guerre zoit vinie, pestait Adolf. Che les aurais vait vuziller."

- "Jawohl mein Führer, mais ne nous vaizons bas remarguer," chuchotait Helmut pour essayer de le calmer.

Ils passèrent donc une nuit de plus dans l'autocar, ce qui leur permit d'être pour ainsi dire les premiers à pénétrer dans le parc. Ils furent tous les trois émerveillés. Cinémas dynamiques, cinémas haute définition, cinémas en relief, sans compter les bateaux à pédales et les camions télécommandés, il n'y avait que l'embarras du choix.

Ils passèrent ainsi une journée inoubliable. Comme il faisait très chaud, ils avaient pris soin de se protéger la tête, d'autant qu'ils étaient tous les trois à peu près chauves. Helmut portait un très beau chapeau tyrolien, Hans un magnifique béret basque que lui avait prêté Monsieur Abaleschleus, en lui disant qu'avec ça, on le prendrait forcément pour un Français, et Adolf enfin arborait une superbe casquette de base-ball sur laquelle figurait l'inscription: "Deutschland über alles." Et tous les trois portaient des shorts et des chemisettes couleur vert-de-gris, habilement récupérés par Adolf, peu après la fin de la guerre, dans les stocks de l'armée du Maréchal Rainer Maria Rommel.

Toute la journée ou presque fut une colossale rigolade. Pour commencer, Helmut et Hans entreprirent de faire un combat naval sur les bateaux à pédales. Ils y réussirent si bien qu'ils durent, une fois tombés de leur embarcation, regagner le ponton à pied.

- "Za me rabbelle guand on bêchait les goguillaches," rigolait Hans en essorant son béret.

Les cinémas dynamiques les impressionnèrent fortement. En sortant, Hans alla se plaindre à la Direction de ce que son siège n'arrêtait pas de bouger. Helmut, lui, quitta la séance avant la fin pour aller vomir au plus vite la soupe au chou du petit déjeuner. Quant à Adolf, il donnait furieusement des coups de pied à son siège en hurlant:

- "Zabotache! Zabotache! Maudits Vranzais! Vuzillés!"

Mais ce qui les émerveilla le plus fut le cinéma en relief. On y passait un film tourné apparemment au fond de la mer, et des hordes de poissons avaient sans arrêt l'air de vous sauter à la figure sans prévenir.

- "Mein Führer! Addrabez-le, zelui-là, il est drès gros, che le ferai cuire afec des choux," hurlait Hans.

- "Addenzion mein Führer, ein reguin! Il fa nous déforer," s'écriait Helmut.

- "Mais non impéziles, ze n'est gue du zinéma, essayait de les rassurer Adolf. Mais vaites addenzion aux grogodiles, guand même."

Pour couronner la journée, il y avait le soir, à la tombée de la nuit, un spectacle aquatique à ne pas manquer. Aussi décidèrent-ils de dîner sur place, et même dans le meilleur restaurant du site, joliment appelé: "La moule en folie".

C'était Adolf qui invitait, car il venait la semaine précédente d'hériter de toute la fortune de sa tante Marguerite, fille naturelle du Maréchal Fritz Rommel, morte à quatre-vingt dix-sept ans en s'écriant une dernière fois: "Gott mit uns."

Ils commandèrent donc le menu le plus cher, à trois cents vingt-deux francs toutes taxes comprises, et qui proposait, entre autres merveilles culinaires, une assiette de fruits de mer.

- "Ch'adore les vruits de mer, disait Hans, che n'en ai pas manché depuis la guerre."

- "Zeux de chez Mouloud n'étaient pas drès bons," se souvenait Helmut.

- "Oui mais là on fa ze récaler," disait Adolf en se frottant les mains.

Mais quelle ne fut pas leur surprise lorsqu'ils virent arriver, en guise de fruits de mer, une misérable assiette de spaghetti, sur lesquels trois moules minuscules se couraient après.

- "Z'en est drop, hurla Adolf. Maîdre d'hôdel, che fous prie! Ze ne zont pas des vruits de mer !"

- "Que Monsieur l'officier me pardonne, s'inclina le maître d'hôtel, mais que Monsieur l'officier veuille donc examiner de plus près son assiette. Monsieur l'officier verra qu'elle est en forme de coquille Saint-Jacques. C'est donc bien d'une assiette de fruits de mer qu'il s'agit."

- "Ja, z'est frai, mein Führer, il a raisson, s'écrièrent Helmut et Hans. Et en plus, il gomprend l'allemand, zelui-là. Ze n'est bas gomme Rachid et Mouloud."

- "Mais si cela peut être agréable à Monsieur l'officier, je peux lui proposer un plat de remplacement, poursuivit le maître d'hôtel. Notre chef de cuisine a justement préparé aujourd'hui du chou farci aux fruits de mer."

- "Nein, danke schön, répondit Adolf sombrement. Mais bermeddez-moi de fous invormer que che ne zuis pas ovvizier."

- "Il n'y a pas de mal, Monsieur l'officier," fit le maître d'hôtel en s'inclinant.

Le maître d'hôtel s'en fut, laissant Adolf, Hans et Helmut à leurs spaghetti, après avoir discrètement soufflé au serveur et en ricanant: "Je t'en foutrai, moi, du Deutschland über alles et du Gott mit uns. Ils connaisent pas encore Saïd, ces trois grosses andouilles."

Heureusement le spectacle aquatique, ensuite, fut si féérique qu'il leur fit oublier les spaghetti. Il y avait des jets d'eau de toutes les couleurs, des feux d'artifice, des rayons laser qui faisaient des petits bonshommes qui couraient dans tous les sens, et ils eurent même l'impression de voir passer un cheval blanc au galop.

- "Ach ! Ils zont vorts, zes Vranzais," disait Hans.

- "Ze n'est pas édonnant qu'ils aient gagné la guerre," précisait Helmut.

- " Che me rabbelle gu'afant le guerre, ils tizaient: "Nous faincrons barze gue nous zommes les blus vorts. Ils ne ze drombaient pas te peaugoup. On n'aurait chamais dû les addaguer." murmurait Adolf, soudain tout triste.

Le spectacle terminé, les lumières commencèrent à s'éteindre. Il ne faisait plus très chaud, tout à coup. Les trois vieux soldats se digèrent lentement vers la sortie, et vers leur autocar, que Monsieur Abaleschleus était encore occupé à saboter. Ils n'y prêtèrent aucune attention. De plus, leurs bottes leur faisaient très mal aux pieds.

Leurs yeux s'embuaient de larmes à l'évocation silencieuse de leurs vieux souvenirs de guerre. Le pauvre Monsieur Maréchal était peut-être mort, à présent. Et Mouloud ? Et Rachid ? Qu'étaient-ils devenus ? Avaient-ils fait des progrès en allemand ? Les trois hommes s'étreignirent brusquement.

- "Ach, Helmut, la guerre, gross malheur !" dit Hans en pleurant.

- "Jawohl, Hans, sehr gross malheur, répondit Helmut, qui éclata soudain en sanglots, et en blus, che ne zais bas guoi vaire de mes douze boîtes de brézervatifs."

- "Ach, zi du feux, dit Adolf d'une voix brisée, che les tonnerai à mon bedit-vils. Za lui zera udile, à l'Univerzidé de Heidelberg."

- "Ach, folondiers, mein Führer, dit Helmut. Et gomment il z'abbelle, déchà, fotre bedit-vils ?"

- "Mamadou N'golo, dit fièrement Adolf. Z'est un sbézialisde de la liddéradure allemande du zeisième ziègle. Zurdout Goedhe, che grois."

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