La clinique des canards au sang
Il ne pouvait plus en aller autrement, et j’étais tout disposé à l’admettre. Mon avenir passait par une petite villégiature hospitalière. Il était beaucoup trop tôt pour que je retourne travailler, et je commençais à en avoir assez de déambuler dans les rues. Un endroit où je pourrais me reposer, où je verrais des têtes nouvelles, à qui faire connaître mon malheur et mes lumières, serait le bienvenu. Je ne me souciais absolument pas de savoir ce que l’on me ferait. Je savais d’avance que ça ne servirait à rien, et de toute façon je refuserais tout ce qui ne me plairait pas. J’éprouvais tout de même une légère appréhension, liée aux vieilles images de douches froides, de camisoles et d’électrochocs, mais je campais ferme sur l’idée que quiconque se laisse enfermer volontairement est libre de s’en aller quand il le veut. D’ailleurs, trois semaines plus tard, je le prouvai en m’évadant en dehors des heures ouvrables. Je ne fus d’ailleurs jamais repris.
J’avais acquis une conscience assez nette de ma maladie, sans pour autant douter de mes visions, mais en sachant que, comme les fois précédentes, un jour ou l’autre l’excitation retomberait, médecins ou pas, clinique ou pas. Je n’éprouvais donc le besoin que d’un cadre agréable où je vaquerais à mes occupations plus paisiblement que chez moi.
C’est Tissot qui m’envoya à la Clinique du des canards au sang, où d’ailleurs il venait consulter lui-même, pour trente ou quarante francs de plus qu’à son cabinet. Ça faisait cher du kilomètre, mais en apparence seulement, car je peux aisément m’expliquer la différence par le vraisemblable racket que devait pratiquer la clinique à son encontre.
L’hôpital psychiatrique, lui, avait pour unique avantage d’être gratuit. Mais pour l’agrément, j’aurais préféré m’enrôler dans la Légion Étrangère. Et la clinique, avec mes deux mutuelles, ne me coûterait quasiment rien. Pour le premier contact et l’inscription, Dominique m’accompagna, beaucoup plus angoissée que moi, par un après-midi du début d’avril où il tombait des cordes. Nous parvînmes à nous disputer violemment parce que je n’avais comme d’habitude pas trouvé la porte et m’étais garé à un kilomètre. Mais une fois les murs franchis ce fut un dépaysement total et immédiat.
La Clinique des canards au sang est composée d’un ensemble de bâtiments très élégants, de style Louis-Philippe, je dirais, posés dans un immense parc entouré de hauts murs. Avec une porte discrète, à ouverture surveillée par une caméra, exactement comme au cinéma. Rien qu’avec cela on savait déjà qu’on entrait dans un autre monde.
Je remarquai d’emblée un petit étang où s’ébattaient des dizaines de canards multicolores, qui me donnèrent des envies de meurtre pendant toute la durée de mon séjour, et des statues style dix-huitième, disséminées un peu partout. Il y avait même, dans un coin, un petit labyrinthe de verdure. A la réception, située au rez-de-chaussée du bâtiment principal, qui a effectivement des airs de château, où l’on vend même des cartes postales et d’où l’on peut emporter un petit descriptif sur papier glacé, on nous envoya attendre quelques minutes dans un grand salon magnifiquement décoré, attenant à une non moins magnifique salle de billard. Je fus intrigué par le fait que la grande glace murale était brisée. Je supposai qu’un patient énervé avait utilisé une boule comme projectile.
On me dit plus tard qu’il ne s’agissait rien moins que de la propriété de la famille de Saint-Éxupéry, et que la veuve, très âgée, y vivait encore, dans une maison située à côté du bâtiment réservé aux médecins, devant lequel stationnaient toujours quelques luxueuses Mercédès et BMW. Une maison très mystérieuse, très richement meublée pour ce que je pus en voir, d’où pendant tout mon séjour je ne vis jamais entrer ni sortir personne.
Le docteur Rainier nous reçut au sous-sol. Elle allait être mon psy de service. Agréable et compétente, du reste. J’étais déjà tout content. Les femmes ont toujours été très bonnes avec moi. Je lui trouvai une ressemblance frappante avec Georgina Dufoix. D’ailleurs, les premiers jours, je trouvai à tous ceux à qui j’avais affaire, médecins, infirmiers, patients, une ressemblance frappante avec des gens célèbres. Cela et le reste me confirmait la gigantesque et surnaturelle entreprise qui s’exerçait sur moi. Il était évident que la clinique était un décor peuplé d’acteurs et de figurants, canards compris, qui n’avait été bâti que pour me permettre de parfaire mon initiation aux mystères de l’univers.
Madame Rainier enregistra sans enthousiasme mon exigence consistant à rentrer tous les soirs chez moi, ainsi naturellement que les week-ends. Elle me dit que dix heures à dix-huit heures serait l’horaire minimum pour que ça puisse fonctionner. Moi, de ma vie je n’avais passé une seule nuit dans un hôpital ou dans une clinique. Même de jour et en tant que visiteur j’avais le milieu hospitalier en horreur. J’étais donc fermement désireux de continuer. Mais je dois dire qu’une fois dans les lieux, par les effets combinés de ma paresse naturelle, du plaisir de se laisser servir et des souvenirs émus de dix ans d’internat passés à Poitiers, je renonçai très vite au statut un peu contraignant de demi-pensionnaire. Je limitai mes exigences aux week-ends et aux mercredis après-midi.
Pendant que Dominique se faisait servir un thé sur la terrasse, j’allai faire la connaissance de l’administration, gérée par madame Cunning, qui était sans doute la seule résidente, toutes fonctions confondues, à mal supporter la fumée de cigarette. Car je découvris bien vite que j’étais entré au paradis des fumeurs. C’était autorisé en tous lieux et en toutes circonstances. Pour la boisson c’était un peu différent, et c’était bien compréhensible.
Madame Cunningm’octroya une chambre dépourvue de douche, puisque je n’en aurais pas besoin. Située dans le bâtiment qu’on appelait le Pavillon, pile en face des canards. La chambre et la consultation feraient mille cinq cents francs par jour, payables tous les vendredis, de préférence avant midi. A quoi s’ajoutait un mystérieux dépôt de garantie de cinq mille francs, remboursable après la sortie définitive. Nettement après, je dois dire. Mais ça, comme bien d’autres choses, je ne le savais pas encore.
Et c’est ainsi que dès le lendemain matin, mercredi cinq avril, je m’embarquai pour un séjour d’une durée certes indéterminée, mais qui n’allait pas manquer de me remettre bien vite les idées en place.
La chambre offrait un confort modeste mais correct. Sa seule originalité était le fonctionnement de la chasse d’eau, qu’il me fallut du temps pour assimiler. C’était pourtant simple : pour vider il fallait d’abord remplir, et pour remplir il fallait d’abord pomper. Je devais m’apercevoir à l’usage que tout dans la clinique fonctionnait plus ou moins comme la chasse d’eau. Chaque jour m’apporta ainsi son lot de petites surprises.
L’infirmier en chef était le sosie de Pierre Richard, muni d’une boucle d’oreille. La boucle d’oreille d’ailleurs semblait être un signe de reconnaissance chez les infirmiers. Très affable, il me fit rapidement faire le tour du propriétaire.
Dans le Pavillon, il y avait donc des chambres, une vingtaine environ réparties sur deux étages, avec la mienne au rez-de-chaussée. Une salle à manger pour dix personnes environ, équipée d’un poste de télévision irrémédiablement hors d’état de nuire, et un atelier dit d’ergothérapie, que je découvrirais plus tard. Il me dit le peu que je devais connaître du règlement, la toute première, évidemment, de mes phobies, à quoi je me forçai à accorder une attention polie mais limitée. Seules les questions relatives aux repas m’intéressaient, et quant à l’alcool j’avais des idées personnelles et non négociables.
J’avais en effet apporté tout le nécessaire, et il constituait, avec un tas de livres que je ne devais jamais ouvrir, l’essentiel de mes lourds bagages. Apéritifs, Bordeaux, packs de Heineken, flasque de Calvados, rien ne manquerait à mon bonheur. En emménageant j’avais sans perdre un instant ouvert une canette de bière. Mais après que Pierre Richard soit entré dans ma chambre sans frapper, m’ait demandé ce que c’était et que je lui en aie généreusement proposé une, je compris que je devrais me plier à deux commandements : ne pas tutoyer les infirmiers, et boire aussi discrètement que possible. L’argument massue du personnel médical était l’alcoolisme chronique d’un certain nombre de patients, et il n’était certes pas dénué de fondement, comme je devais le constater assez vite.
Georgina Dufoix consacra même sa première consultation à ce seul problème, et le pauvre Tissot, le lendemain, tel les carabiniers, en rajouta une couche. Cela m’irrita au plus haut point, parce que mon souci principal, pensais-je, profondément offusqué, c’était tout de même Émilie. Et enfin, de quel droit prétendait-on m’empêcher de boire à ma guise ?
Sans se faire nullement prier elle me soulagea grandement en me déclarant que j’étais entièrement libre d’aller consommer en ville, à peine à trois cent mètres à pied. Plutôt à pied qu’en voiture, d’ailleurs, rapport à la couverture des assurances, et sans oublier que ça me ferait de l’exercice. Et c’est tout juste si elle ne me conseilla pas également sur la question délicate de la sélection des bistrots.
Je suis maintenant persuadé que c’est la méthode infaillible qu’applique la clinique des canards au sang aux patients en cure de désintoxication. Allez boire dehors et rentrez bourrés, les infirmiers vous coucheront, ils sont spécialement formés pour ça ! Voilà sans doute un excellent moyen de s’assurer la fidélité d’une clientèle à mille cinq cents francs par jour. Quant à moi je dus quand même, la mort dans l’âme, mettre à la consigne une partie de mon stock et ne garder et renouveler par la suite que le juste nécessaire. Il ne fut d’ailleurs plus jamais question d’alcool entre moi et le personnel médical. Nous étions entre gens bien élevés.
Le bateau ivre
En trois semaines je passai dix jours et cinq nuits à la clinique, en incluant les heures passées au bar et à l’église. Je ne peux donc pas prétendre que ce fut terriblement long ni lourd. Je repartis dans le même état mental qu’à mon arrivée, ce qui n’était déjà pas si mal. Ce fut une expérience somme toute plutôt intéressante, où je pus, tout en assouvissant mes fantasmes dans un espace qui n’était qu’à moi, connaître et pratiquer les activités et les gens les plus divers.
La première des priorités était évidemment l’aménagement de ma chambre. Une de mes premières actions consista à scotcher, en face de mon lit, les photos du Marais Poitevin et quelques autres, de manière à obtenir une sorte de croix de Malte parfaitement symétrique. Je passai des heures à jouer aux cartes avec quelque chose comme dix-huit photos avant d’être satisfait. La meilleure idée avait été de placer exactement au centre, côte à côte, deux photos, une de Sabine et une d’Émilie, prises sur le balcon de la maison d’Italie, l’été qui précéda notre séparation. Elles n’avaient pas quatre ans, elles étaient toutes nues avec des chapeaux de paille, et la juxtaposition donnait l’impression qu’elles étaient en train d’ouvrir un portail. Bien sûr les raccords laissaient à désirer, mais j’étais certain qu’avec un scanner et un ordinateur on atteindrait la perfection. Et je concluais que dix ans plus tôt il était déjà écrit que quelqu’un franchirait le portail. Dominique ne s’y est pas trompée. J’ai à mon retour été prié de ne pas afficher mon travail dans la maison. Elle le trouvait angoissant.
En plus d’une grande carte de Paris et des environs placée au-dessus de mon lit et punaisée aux endroits qui me disaient quelque chose, mais avec laquelle je ne découvris jamais rien de tant soit peu significatif, je posai un peu partout quelques unes des citations que j’aimais : Céline bien sûr avec le sergent Alcide : Il s'endormit d'un coup, à la lueur de la bougie. Je finis par me relever pour bien regarder ses traits à la lumière. Il dormait comme tout le monde. Il avait l'air bien ordinaire. ça serait pourtant pas si bête s'il y avait quelque chose pour distinguer les bons des méchants ; Faulkner avec la fin de The Sound and the Fury ; Céline encore avec : Le véritable savant met vingt bonnes années en moyenne à effectuer la grande découverte, celle qui consiste à se convaincre que le délire des uns ne fait pas du tout le bonheur des autres et que chacun ici-bas se trouve indisposé par la marotte du voisin ; Eugene O’Neil avec son étonnant Mourning becomes Electra, qui se traduit par Le deuil sied à Electre ; John Le Carré avec : I'm a newcomer to the overt world but I'm learning ; enfin, la plus simple et la plus vraie, celle qui m’allait comme un gant : I’ll manage. J’y arriverai, ou, c’est comme on préfère, je dirigerai.
Soucieux de ne rien laisser au hasard je plaçai un Défense absolue de franchir cette limite en évidence au-dessus des toilettes. C’est en effet derrière la cuvette que se trouvait la bouteille de Bordeaux du jour. C’était parfaitement rationnel dans la mesure où, à table, lorsque l’on s’absente entre ou pendant les plats, c’est forcément pour aller pisser. Sinon, c’est qu’on est un rustre.
Je m’étais muni de la meilleure papeterie : un grand cahier Clairefontaine, plusieurs blocs quadrillés Rhodia, des enveloppes et du papier à lettres personnalisés avec le château et l’église de Dissay, et les crayons et stylos qui allaient avec. Tout était parfaitement en ordre sur mon petit bureau. Je faisais ma rentrée scolaire. Mais d’abord je devais aller à la découverte du collège, de ses professeurs et de ses élèves.
Les malades étaient d’allure aisée et cultivée. Ce n’était pas que les prolétaires auraient répugné à se faire materner dans un château, c’était plutôt une question de moyens. J’étais donc vraiment avec des gens agréables, à la conversation souvent intéressante. Le tutoiement était de rigueur, et c’était sans doute un peu plus que du snobisme. ça instituait une solidarité réelle entre des gens qui subissaient le sort commun, finalement pas si enviable, d’être handicapés et de souffrir, même si c’était dans un cadre doré.
Une autre règle tacite était que personne ne racontait à personne pourquoi il était arrivé là, surtout pendant les repas. Cela m’arriva quelquefois, en tête-à-tête, tard le soir, d’avoir des échanges personnels, mais cela resta assez rare. Les psy étaient payés pour ça, et nous autres le bétail, on avait assez de nos problèmes sans avoir à connaître ceux des autres. Contrairement aux douleurs physiques, dont on se régale volontiers chez autrui quand on n’en est pas soi-même atteint, les douleurs morales sont terriblement transmissibles.
La cuisine du Château était différente, comme un mongolien est différent. A se demander si elle n’était pas préparée par une bande de fous furieux. ça ne ressemblait à rien de connu. Il faut être juste, c’était meilleur qu’une cantine d’hôpital, mais si on n’avait pas lu le menu au préalable, on ne pouvait que se livrer à des spéculations hasardeuses pour tenter de déterminer si c’était, exemple parmi d’autres, du bœuf ou du poulet. Le Chef, de plus, semblait s’acharner de façon incompréhensible à vider les salières dans les assiettes, peut-être par jeu, ou pour nous rendre l’identification encore plus difficile.
Je réussis néanmoins à faire un repas plaisant, un soir où j’étais rentré du bistrot après l’heure légale, et où une camarade de misère avait eu la sollicitude d’emporter sans le dire à personne mon plateau dans sa chambre, sans doute pour qu’on ne me le vole pas ; de sorte que, voyant la table vide, j’allai me restaurer directement au frigo des cuisines, abondamment garni de tranches de jambon et de saucisson, lesquelles curieusement n’arrivaient jamais jusqu’à nos assiettes.
J’adorais le cérémonial infirmier de l’apéritif, qui consistait à apporter sur un plateau des petits verres à liqueur, un par convive, chacun étiqueté avec son numéro, et chacun rempli d’un appétissant cocktail de gélules multicolores. Je volai le mien dès le premier jour. Il remplit parfaitement sa mission en me permettant, midi et soir et jusqu’à mon départ, de doser convenablement mon Calvados.
Qu’on n’aille pas croire qu’on nous laissait mourir de faim ou que le service laissait à désirer. Bien au contraire. Le petit déjeuner était excellent, avec croissant, petit pain, beurre, confiture, café ou thé à volonté. Vers quatre heures un infirmier passait prendre commande pour le goûter, café ou thé à nouveau et pâtisserie. Enfin on pouvait, presque toute la journée, aller consommer des boissons, hélas non alcoolisées, sur la terrasse du Château, ou dans le salon par temps de pluie. Le café était fort, non décaféiné et dépourvu, j’allai le vérifier de visu tant j’étais suspicieux, de toutes substances anxiolytiques. C’était une de ces nombreuses bizarreries de la clinique que de laisser des gens atteints de troubles nerveux boire à longueur de jour des litres de vrai café. La clinique d’ailleurs était tout aussi tolérante vis-à-vis du tabac. On ne pouvait pas faire deux mètres sans se cogner à un cendrier débordant de mégots mal éteints. Dans ma candeur et mon exaltation j’allai jusqu’à imaginer que l’on expérimentait, sur moi et moi seul bien entendu, une méthode nouvelle de sevrage par le dégoût.
C’était il y a plus de quatre ans. Les mœurs médicales étaient encore par trop rigides. Certaines traditions ont la peau dure comme celle de nos canards, mais Dieu merci la clinique est résolument novatrice. Puisqu’on y encourageait déjà le café et le tabac, je ne serais pas surpris plus que cela d’apprendre que l’interdiction d’alcool un beau jour a été levée, et les relations sexuelles laissées à la discrétion des malades. Et pourquoi pas, rêvons un peu, la mise en place d’un atelier de sodomisation des canards.
Des sources de profit plus que non négligeables, qui, dans un tel endroit et avec une telle clientèle, n’ont raisonnablement pas dû rester indéfiniment inexploitées. Et sans oublier, fièrement posée au-dessus du portail, une superbe lanterne d’un rouge écarlate, pour que la messe enfin soit dite.
J’exagère, bien sûr, j’extrapole. Je suis injustement rancunier. Et d’abord il faut s’appeler Sartre, et être un Chef, pour sodomiser un canard et le manger ensuite. Les nôtres étaient réputés impropres à la consommation. Et à la clinique des canards au sang cela eût été un crime contre le sexe.
Car le sexe était omniprésent, mais hélas il ne s’assouvit jamais. C’est l’un des principaux motifs de ma rancœur tenace. Alors que la clinique en réalité ne fut jamais fautive. Ce ne fut en définitive qu’un énorme malentendu, dont toute la responsabilité m’incomba. Je croyais être le héros d’une superproduction qui ébranlerait le monde, Ben-Hur, Lawrence d’Arabie et le Docteur Jivago réunis, alors que je n’étais qu’un carnet de chèques des plus ordinaires. Il y a bien là de quoi concevoir une amertume durable.
Je me souviens d’une infirmière qui avait les jambes de Cyd Charisse et qui adorait les montrer. Seulement les montrer. Elle ne les écarta jamais pour moi. Je ne connus guère plus torride que le prélèvement d’un demi-litre de sang que m’administra un matin une lutteuse portugaise déguisée en infirmière. Et les mesures de pouls et de tension artérielle, matin, midi et soir. C’était le passe-temps favori du personnel. Quelquefois je jouissais un peu du contact d’un pouce féminin sur mon avant-bras. C’était mieux que rien.
Lorsqu’on m’annonça que j’aurais droit à des massages je ne me sentis plus de joie. La Rome antique, le Paris des années trente étaient en vue. Je m’y rendis tout frémissant. C’était, il va de soi, dans un bâtiment excentré. Le bordel, enfin, j’y étais. Mon excitation fut à son comble lorsque je découvris, sur le pare-brise d’une voiture garée à côté de l’entrée, un morceau de papier sur lequel était écrit : ce n’est pas ce que vous croyez. Quel raffinement, quel art du suspense, me disais-je, n’en pouvant plus d’attendre l’instant où des mains expertes et des bouches lascives allaient s’emparer de moi pour satisfaire mes désirs les plus fous.
Mais au lieu de cela je me retrouvai face à une femme d’âge incertain, psy des plus ordinaires, et qui faisait penser à tout sauf à l’amour. Et je n’étais pas au bout de mes déconvenues. Car elle trouva le moyen, en toute conscience ou inconscience, je ne sais, alors que j’étais étendu, calme et sans défense, les yeux fermés, de me donner l’illusion que je m’enfonçais, doucement, inexorablement, dans quelque chose qui ne pouvait être qu’une tombe. Je mis plusieurs heures à m’en remettre. Ce doit être une idée de psy que de penser que pour soigner quelqu’un qui revient de l’enterrement de sa fille, lui faire revivre la scène, vue de l’intérieur du cercueil, est un traitement salutaire. À moins que le patient se soit enterré fait lui-même.
Trop fatigué pour étrangler la masseuse, je me promis de le faire sans faute la fois suivante. Nous procéderions au massage dit espagnol, également connu sous le nom de cravate de notaire, cravate avec laquelle je l’étoufferais ensuite tout en éjaculant abondamment. J’avais des rêves d’enfant. Mais son beau-frère lui sauva la vie. Car la veille de la seconde séance - je déclinai en effet l’invitation aux suivantes - elle me téléphona pour s’excuser de ne pouvoir s’occuper de moi, car elle devait impérativement aller enterrer le beau-frère dans une province reculée. Elle me décrivit par le menu les immenses qualités du défunt et l’affliction que lui causait cette perte immense. Je bouillais. Je me promis de présenter l’addition au remplaçant, dont elle m’épela le nom au moins trois fois avant de me laisser enfin boire ma bière en paix.
ça tombait bien, il était jeune et adorable. Avec un vieux cheval de retour blanchi sous le harnais cela aurait été plus difficile. Pendant qu’il me tartinait d’huile j’eus tout loisir, débarrassé de toute obsession sexuelle, de l’amener exactement là où je voulais. J’utilisai la technique éprouvée qui consiste à être d’abord extrêmement aimable, flatteur, voire émerveillé par les multiples talents de l’interlocuteur, à paraître même très intimidé, et ensuite, insensiblement, sans jamais élever la voix, glisser dans une ironie bien innocente au début, puis de plus en plus méprisante ; devenir franchement odieux, profondément malhonnête et injuste, donner un peu de mou en feignant un mélange de pitié et d’impuissance devant tant d’indigence intellectuelle, enfin faire semblant d’absoudre l’imbécile par pure lassitude et ne plus dire un mot. Le masseur resta digne.
Le bac plus douze fut ainsi transformé pour un moment en masseur de salle de gymnastique de dernière zone. Ce n’était pas gentil, certes, mais ça soulageait de l’enterrement vivant et de la mort du beau-frère. Au diable dès lors les faux massages thaïlandais et les fellations imaginaires. J’étais débarrassé des imposteurs et des importuns. Je pouvais désormais me consacrer aux gens que j’aimais.
La nef des fous
Les séjours en psychiatrie ne forgent pas des amitiés durables. On repart avec des souvenirs, mais on n’échange pas les adresses ni les téléphones, et on ne s’envoie pas de cartes postales. Pour ma part j'ai retenu quelques visages, mais j’ai oublié tous les prénoms ou presque. ça rend la narration un peu difficile.
Les premiers jours je me promenais constamment avec Alcools sous le bras. Il était au programme de français de Mathématiques Spéciales, en 1968. A un ingénieur qui a connu Apollinaire très jeune il devra être beaucoup pardonné. C’est comme cela que j’avais découvert La chanson du mal aimé, Le pont Mirabeau, Marie, et aussi, ce qui est bien vrai, Tu pleureras l’heure où tu pleures.
Le matin de la parution de mon annonce dans Libération avec Le dormeur du val, j’étais allé passer un moment à l’école maternelle, dans la classe de Quentin. Marie-Claude, la directrice, m’avait laissé lire un poème aux enfants. Marie était trop triste, alors j’avais lu un extrait de la chanson.
C’est le printemps viens-t’en paquette
Te promener au bois joli
Les poules dans la cour caquètent
L’aube au ciel fait de roses plis
ça se terminait par : Les grenouilles humides chantent. J’avais appris aux enfants que non seulement les poules caquètent mais aussi les grenouilles coassent et les corbeaux croassent. Je leur avais demandé ce que font les fourmis. Aucun n’avait su, et aucun n’avait compris pourquoi les fourmis croondent. J’étais un bienheureux, au milieu de tous ces enfants.
Marie, je l’ai casée un vendredi après-midi, le premier que je passais à la clinique, juste avant de rentrer chez moi, à l’heure exquise où l’on s’alignait autrefois pour recevoir des mains velues d’un surveillant général corse et alcoolique le petit et précieux billet de permission.
Il y avait un groupe de ce que les infirmiers appelaient entre eux les bébés psy. Ils terminaient leur stage d’observation des fêlés en milieu privilégié. Confortablement installé à une table de jardin sous un beau soleil d’avril, j’ai commencé à leur lire Marie. J’étais attiré par une jeune fille fragile et jolie qui s’appelait Béatrice. Je me suis arrêté au milieu du poème, j’ai levé les yeux et tourné la tête pour ne plus voir personne. Ma détresse dans sa totalité s’était écrasée sur moi. Je ne parvenais plus à respirer.
Ça a duré des siècles. Je me suis enfin levé et je suis parti sans rien dire. J’ai juste écrit une petite carte à Béatrice, où je lui disais que je ne serais jamais son Dante. Elle ne m’a jamais répondu et je n’ai pas été étonné. Même si je l’avais intéressée, ce qui est fort improbable, elle aurait sans doute jugé que cela eût été contraire à sa déontologie naissante.
Pendant ces trois semaines je fis des rencontres très hétéroclites. Dans la catégorie alcoolisée, d’abord, je me souviens d’un homme d’un certain âge, médecin anesthésiste je crois, qui semblait être au huitième mois de sa grossesse. Tout en lui était d’une lenteur infinie et savamment calculée. Sa conversation était agréable mais rare. Je le vis un soir mettre cinq bonnes minutes à remplir un chèque de mille cinq cents francs. C’est ce qu’il devait, non pas à madame Cunning, mais à l’un des nombreux bistrotiers du centre de Saint Louis, un arabe que tout le monde appelait Bébel, à cause de la ressemblance, frappante comme toujours.
Sauf exception je ne me fâchai jamais avec personne. L’exception avait un peu plus de vingt ans, un visage ingrat et un corps sans grâce. Personne ne lui adressait jamais la parole sans nécessité absolue. Elle faisait tache au milieu de nous tous, si distingués. Je la voyais souvent errer sur les pelouses et dans les couloirs. Je la voyais aussi régulièrement, le soir juste avant de rentrer dîner, à la terrasse du bar tabac, effondrée sur son quatrième ou cinquième demi. Un soir aussi où nous nous restaurions paisiblement, je la vis se débattant et vociférant entre deux infirmiers excédés. Son pull était remonté jusque sous les aisselles et laissait apparaître un soutien-gorge blanc qui maintenait péniblement de gros seins déjà flasques. C’était indécent et répugnant. Une autre fois je la trouvai couchée sur mon lit, ivre morte. Elle voulait ma chambre. Mes affaires la gênaient et elle m’ordonnait de tout prendre et d’aller ailleurs. J’allai aussitôt voir Pierre Richard. Salope, pétasse, pute, grosse vache, ce furent quelques-uns des mots que je n’employais même pas dans les bistrots ou avec mes collègues de bureau. Et qu’on me sorte ça de ma chambre immédiatement.
J’étais plus qu’injuste. Elle avait probablement des qualités, cette pauvre Muriel, son nom me revient. Elle avait peut-être un cœur sensible et généreux, comme le mien, mais son tort impardonnable était de me renvoyer une image de l’alcool que je détestais. Ça justifiait pour une bonne part mon antipathie et mon dégoût. L’anesthésiste lui au moins ne perdait jamais sa dignité ni son ironie, et ne dérangeait personne. Mais Muriel, on aurait dit qu’elle n’était là que pour m’emmerder et me culpabiliser.
La clinique affirmait mettre à la disposition de sa clientèle une bibliothèque. Je partis à sa recherche sans perdre une minute, enthousiasmé à l’idée qu’une masse incalculable de savoir était mise à ma disposition pour les complexes recherches que j’allais incessamment entreprendre dans des domaines jusque là inexplorés. Je découvris non sans mal un petit placard en trompe-l’œil dans la salle du billard, qui contenait bien une cinquantaine d’ouvrages, du genre de ceux qui encombrent chez soi et que l’on éparpille dans la maison de campagne pour la distraction des neveux de passage. San Antonio et Agatha Christie constituaient l’essentiel des collections et Le Petit Prince n’y figurait même pas. Le lecteur ne risquait pas de périr sous le poids des angoisses existentielles.
Heureusement je trouvai bien vite la vraie bibliothèque, la seule, la mienne. Elle était tout simplement dans le bureau du Médecin Directeur, qui justement n’y mettait jamais les pieds, pour ne pas me déranger. J’y restai au moins deux heures, une après-midi, cherchant dans une première phase à comprendre dans quel ordre il m’était ordonné de lire tous les traités, manuels, dictionnaires et encyclopédies qui étaient là. Je commençai par quelque chose de facile, en dévorant le recueil des œuvres complètes de Klimt, jusqu’à ce que Muriel, toujours elle, la pocharde moche, mon ennemie intime, toujours acharnée à contrarier mes desseins, vienne me déranger et me dire avec son air comme de coutume halluciné que je n'avais pas le droit d'être là.
On disait le Médecin Directeur comme on dit le Père Supérieur. Il était hongrois et superbe comme son nom, qui se terminait avec i et y à moins que ce ne soit l’inverse. Il était la resplendissante figure de proue de l’établissement. Je le vis une première fois, un de mes premiers soirs à la clinique, alors qu’il passait par chez nous en arborant un de ces airs suprêmement absents qu’on ne rencontre que chez les plus grands. Je me levai précipitamment et lui présentai mes respects avec la plus grande timidité, m’excusant presque d’avoir perdu ma fille et d’avoir à l’ennuyer avec de telles broutilles, et craignant en somme qu’il ne me renvoie pour cause d’incompétence ; à quoi il répondit par une moue bien plus dubitative qu’approbatrice, qui en disait long sur l’intérêt qu’il me portait. Je le revis quelques jours plus tard en lui rendant son Klimt, et eus ainsi l’honneur d’entendre le son de sa voix. Je vous remercie, me dit-il, j’en ai besoin pour mon travail. Les voiespsychiatriques des grands seigneurs sont très impénétrables.
Je l’ai rencontré une troisième et dernière fois, un an plus tard, alors que, lassé d’envoyer des courriers, tantôt ironiques, tantôt colériques, mais invariablement sans réponse, pour réclamer les mille et quelques francs que j’estimais que la clinique me devait, je m’étais rendu sur place, non, je l’avoue, sans être poussé par une certaine nostalgie, dans l’espoir de régler la question de vive voix. Après que Madame Cunning, un peu contrariée de ce que je me sois permis dans une de mes récentes lettres de la comparer à une plante verte que l’on n’aurait jamais eu besoin d’arroser, ait néanmoins reconnu sa dette et pris l’engagement de me rembourser avant trois mois, j’allai, poussé par une certaine méfiance à l’encontre de l’administration, m’asseoir dans le bureau directorial, comme d’habitude vide. Mais ce devait être mon jour de chance, car il se remplit peu après.
J’expliquai brièvement l’affaire. Ah bon, fit-il. Il décrocha son téléphone et dit : il y a un Monsieur Pé dans mon bureau. Il laissa par politesse madame Cunning dire quelques mots, puis conclut par : puisqu’il est là, faites lui donc son chèque, ça lui évitera de revenir. Et ce fut tout. Et c’est à cela qu’on reconnaît les caractères d’élite. Tout autre que lui aurait dit : ça lui évitera de revenir polluer mon bureau et m’ennuyer avec des détails sordides.
Concernant le commun des mortels, il était heureusement des déprimés autrement plus pittoresques, revigorants et parfois émouvants, que Muriel la soiffarde. Les décrire tous serait fastidieux, je crains de plus d’en avoir oublié. Je me souviens tout de même encore bien d’un fumeur de pipe, toujours bien mis et cravaté, qui était de noble extraction et même cousin d’un vicomte un peu connu en politique, pas tellement à mon goût mais qu’importe.
Soucieux de ne pas frayer avec la plèbe, il prenait ses repas dans sa chambre, qu’il avait aménagée en une chapelle saint-sulpicienne où la Vierge Marie tenait une place prépondérante. Nous avions des discussions très animées sur tous les sujets de société, au cours desquelles il était fréquent qu’il s’esclaffe en me disant, Monsieur Michel, vous êtes un phénomène, ou un communiste, ou un anarchiste. Nous avions en commun le mépris du travail rémunéré. Il affirmait être au chômage depuis vingt-trois ans après avoir abandonné toutes sortes d’études. En plus des images pieuses il collectionnait les vignettes Panini à l’effigie des footballeurs internationaux et me demandait de les lui acheter en ville, car il ne sortait jamais de la clinique.
Le jour où je lui demandai imprudemment s’il comptait se rendre à la procession du Vendredi Saint, à Saint Louis, je crus l’avoir insulté. Monseigneur Lustiger n’était pour lui qu’un dangereux et décadent gauchiste. Je le menaçai un jour d’envoyer une lettre au Canard Enchaîné où je raconterais que le vicomte avait un cousin fou à lier qui vivait sur le dos de la Sécurité Sociale et qui collectionnait des vignettes Panini de footballeurs. Il se frappa les côtes et me hurla de rire, plusieurs fois, Monsieur Michel, vous êtes un salopard. Je riais de bon cœur, moi aussi. C’était comme ça que les gens bien appelaient les ouvriers, au temps du Front Populaire. Les salopards en casquette. A nous deux on réinventait la lutte des classes dans la bonne humeur la plus débridée.
Je me souviens aussi d’une jeune femme que je ne vis qu’une fois. Grande, mince, très blonde, très belle. Elle était sur le point de quitter la clinique. Elle raconta en détail, dans le salon un matin, comment son ami, motard, avait été réduit en bouillie par les roues d’un camion. Elle avait de profondes cicatrices sur le visage. Pas besoin d’être psy pour deviner qu’elle avait fait une ou des tentatives de suicide. Dans la profession on dit TS et je n’aime pas ça. C’est réducteur, banalisant, presque méprisant. Ça introduit des notions choquantes de fatalité, de statistiques. Comme on dit OD pour overdose. Les Américains disent même ODie, pour aller plus vite. En tout cas je n’aimerais pas qu’on dise qu’Émilie a fait un SR, pour suicide réussi, à défaut d’un SM, pour suicide manqué. Pourquoi pas dans ces conditions un GH, pour grand huit ?
Je mettais plus souvent qu’il n’aurait fallu mon cynisme en veilleuse. Ce fut le cas lors d’une longue conversation dont j’ai tout oublié avec une femme plus très jeune, mais que sa douceur rendait presque belle. Elle essaya de m’expliquer, dans sa chambre où nous nous tenions les mains, pourquoi elle passait sa vie à essayer de se suicider, alors qu’elle ne semblait pas le savoir elle-même. Je lui parlai un peu d’Émilie. L’idée m’effleura, pour que l’harmonie soit complète, de lui faire l’amour, mais je n’allai pas plus loin. J’étais assez heureux et triste comme ça.
Pour cultiver le vague à l’âme et la rêverie, il n’y avait rien de tel que l’atelier d’ergothérapie. Tous les après-midi vers trois heures j’attendais son ouverture avec impatience. C’était une femme très distinguée, d’une grande patience et d’une grande bonté, avec un accent européen difficile à identifier, qui le dirigeait. Diriger n’est pas le mot juste. Chacun faisait à peu près ce qu’il voulait. Enfilage de perles, céramique, bijoux de pacotille, les activités étaient laissées à la fantaisie des participants. Ça peut paraître ridicule, ça ne l’était pas.
Moi je ne faisais jamais rien. Mais je me sentais bien, dans ce grand capharnaüm lumineux où étaient entreposées pêle-mêle les créations des artistes passés, présents et futurs. C’était presque uniquement des femmes qui travaillaient, certaines très séduisantes. Chacun allait à son rythme. On parlait de tout et de rien. J’inventais des quizz de cinéma ou de littérature au profit d’un jeune et gros garçon enjoué qui passait beaucoup de temps à écouter Léo Ferré et qui parlait fréquemment de sa mère. Il avait aussi un faible pour les fortes poitrines. Il les contemplait avec une gentillesse désarmante. Il en dessinait une, parfois, à sa manière très enfantine. Moi, quelquefois, je m’endormais presque, bercé par les petits rires de satisfaction de celles qui montraient les couleurs de leur collier ou bracelet de perles en plastique, et qui oubliaient ainsi un moment leurs peurs du lendemain ou du soir même.
Lors de ma visite de remboursement j’ai voulu y retourner quelques minutes. Je ne me suis pas attardé. L’atelier avait déménagé dans le bâtiment des masseurs. Ce n’était plus qu’une sorte de salle de classe exiguë et sinistre. Il n’y avait plus aucune douceur de vivre, plus aucune trace de ces après-midi délicieusement languissantes. Là-bas on avait tout cassé pour construire d’autres chambres. Toujours plus de chambres.
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