BEL KHACEM B. - HÔTELIER RESTAURATEUR CAFETIER KABYLE - MUSULMAN FERVENT - BIENFAITEUR DE L'HUMANITÉ
Sur la tête de ma mère c'est un grand malheur, ah ça oui. C'était la fierté de l'établissement, Michel. L'honneur de la maison. Comme un prince il était traité chez moi. Il avait son tabouret rien que pour lui, et que personne d'autre que lui avait le droit de s'asseoir dessus sinon il se faisait engueuler. Quand il avait pas d'argent pour payer, je lui en prêtais. Quand il me demandait pour niquer la serveuse, c'était jamais de problème. Ici il se trouvait encore mieux que chez lui, il le disait tout le temps. C'est la vérité. Surtout que vous avez vu, chez moi je fais toujours attention pour que ça soit très propre. Oui c'est vrai, il y a deux trois cafards, mais c'est rare qu'ils vont sur le bar. Ils se plaisent mieux sur les murs. Et de toute façon mes clients en général ils préfèrent boire à la bouteille que dans des verres, comme ça les bestioles peuvent pas tomber dedans et se noyer.
Michel, il était pédégé chez Marcel Dassault, vous le saviez ? Il gagnait dans les quinze vingt mille euros par mois, au moins. Ah ben alors Michel, je lui disais toujours quand il arrivait, faut un peu en faire profiter les Arabes, de ton pognon, ah ben oui. T'as raison Bel, il disait, mets-toi plutôt une bière. Et mets aussi un verre à la serveuse, et aussi un verre à Messaoud et à Kamel, j'ai l'impression qu'ils ont soif, les pauvres, après avoir passé la journée à jouer aux courses d'une main en se grattant les couilles de l'autre.
Marcel Dassault, il me disait, je le connais personnellement très bien. Je l'ai vu pas plus tard que ce matin. Il distribuait des billets de 200 euros aux ingénieurs et aux ouvriers. Deux pour les ingénieurs, un pour les ouvriers. Même qu'il m'a dit, vous, vous êtes un très bon élément, je vous en donne quatre. Ah bon, Michel, c'est la vérité ? Alors, la santé pour lui et pour toute sa famille. Et qu'Allah veille sur lui. Fais voir les billets, quand même. Et s'il vient chez moi, Marcel Dassault, dis-lui bien qu'il aura la bière gratuite tous les jours. Mais dis-moi, Michel, il doit plus être tout jeune ? Il pourrait bien aller à la retraite, avec tout le pognon qu'il a ? Tu rigoles, Bel, il disait. Il est en pleine forme. Tous les midis il se tape ses deux pastis et son entrecôte sauce poivre avec une bouteille de Bordeaux et trois Armagnac pour digérer. Et tous les dimanches matin, il fait de la course à pied au Bois de Boulogne. Sauf quand il pleut. Là, il va à la piscine.
Souvent il me disait, tu vois Bel Khacem, moi j'aime pas les Arabes. Faudrait tous les foutre sur des péniches, et couler les péniches. C'est une race inférieure. Faut les exterminer et puis voilà tout. C'est pour ça que je vote Le Pen. Lui au moins il a des couilles françaises. Et tu as bien raison, Michel, je lui répondais, je suis vraiment bien de ton avis, sauf que quand même, d'abord, ça ferait beaucoup de péniches, et puis que les ânes aussi ils ont des couilles mais que moi je vote pas pour eux. Mais à part ça ah ben oui moi non plus je les aime pas, les Arabes. C'est que des feignants et des voleurs. Tout ce qu'ils savent faire, c'est de brûler des voitures. Mais oui. Et en plus ils vivent sur le dos des Français, c'est la vérité. Regarde les, dans le bar, y'en a pas un seul qui travaille de toute la journée. Sauf ton copain Momo, qui fait la peinture, lui alors on se demande bien pourquoi. C'est le gouvernement de la France et la sécurité sociale qui leur paient leurs cafés.
Et aussi, ils passent leur temps à boire de la bière, Michel il continuait, alors que leur religion dit que c'est interdit. Y'en a même qui boivent du whisky, si c'est pas malheureux de voir ça. Avec mes impôts. Et en plus, tes clients, y'en a pas un seul qui me doive pas de l'argent, tellement qu'ils sont fauchés à force de boire comme des trous et que moi je suis trop bon pour refuser. Eh ben oui Michel, tu as bien raison encore, et même des fois je suis obligé de les foutre dehors tellement qu'ils sont bourrés et qu'ils font du bruit et qu'ils racontent des conneries et même qu'ils me cassent les vitres, mais c'est aussi pour ça que je suis quand même pas trop pour qu'on les renvoie chez eux. Sinon j'aurais plus de clients, et les cafés et les bières et le whisky je pourrais plus leur vendre et j'aurais plus qu'à retourner dans le bled, c'est la vérité.
Chaque fois qu'il voyait un barbu passer devant le bistrot, ça le mettait en colère. Il me disait putain Bel, regarde-moi ce connard, et comment il est fringué, si c'est pas une honte. Bordel, ici on n'est plus en France. Pas besoin d'aller en vacances en Kabylie ou au Maroc, on y est déjà. Ici si on veut faire des courses, on a le choix entre la boucherie musulmane, l'épicier arabe et le bazar quand on veut acheter une théière ou une cassette de musique bougnoule.
La mosquée, il appelait ça le garage à vélos. C'est très pratique, il m'expliquait, quand ils font la prière, pour caler la roue avant du vélo. Je suis encore bien de ton avis, Michel, je répondais, et en plus ces cons-là ils me rapportent rien. Nib. Un café et trois verres d'eau ça leur fait quatre heures assis devant le bar à me faire chier en me récitant le Coran.
Ah par contre Michel il aimait beaucoup Picasso, ah ça oui. La première chose qu'il disait toujours en arrivant dans le bar, c'était, Bel, mets une Kro à Picasso.
Lui, c'est un Croate qui loge chez moi. Ça fait trente ans qu'il est en France et il parle toujours pas tellement la langue, mais il comprend quand même assez bien. Merci, Michel, tu es mon pote, toi Michel, il disait toujours. Pas comme ces connards d'Arabes.
On l'appelle Picasso parce qu'avant il faisait un peu de peinture. Mais il a arrêté à cause des tremblements, qu'il arrivait plus à tenir le pinceau, le pauvre. Moi il me rend des petits services. Le matin il arrive à me faire les cafés et les verres d'eau, pendant que j'étudie Paris Turf. Après je l'envoie acheter les cigarettes, parce que mes clients arabes, ils font pas que de boire de la bière et du café, ils fument aussi beaucoup. Il revient trois ou quatre heures après, souvent il a oublié les cigarettes sur un bar, et là, je l'envoie tout de suite se coucher, sinon il se met à insulter les clients, et j'aime pas ça du tout, parce qu'il y a que moi et Mina, elle c'est ma femme, elle est Marocaine et elle a un très mauvais caractère, qui ont le droit d'insulter les clients. Surtout que mes clients, ça les dérange pas de se faire insulter, mais seulement en arabe ou en français, pas en croate, sinon ils savent pas comment répondre. Mais alors, ma parole, vous allez pas le croire mais c'est la vérité, dès que Michel entrait, on aurait dit que Picasso il le sentait. Ça le réveillait en sursaut, et il descendait l'escalier à toute allure pour venir chercher sa Kro.
Depuis que Michel est mort, Picasso c'est plus le même. Il a même plus envie d'insulter les Arabes. Il est venu avec moi au Père-Lachaise, complètement bourré. Il a serré les mains de tous les gens qui étaient là, même à ceux des Pompes Funèbres et aux gardiens du cimetière, en leur disant, moi Michel c'était mon pote, ah putain ça oui, Michel c'était mon pote.
Michel, tous les ans, il me faisait une lettre pour le Maire et pour demander que je ferme le bistrot plus tard pendant le Ramadan. À la mairie ils étaient toujours drôlement étonnés. "La spécificité maghrébine de ma clientèle engendre, pendant la période du Ramadan, une réduction substantielle et dramatique de mon chiffre d'affaires. La clientèle de mon établissement est par ailleurs parfaitement respectable et honorable, entièrement composée d'honnêtes travailleurs, et ne saurait se livrer à de quelconques débordements nocturnes, surtout en cette période de jeûne et de prière". Toute une page tapée à la machine et en tout petits caractères. C'est vous qui avez écrit ça, ils me demandaient, à la mairie, en se prenant la tête dans les mains. Ah ben non, je rigolais, c'est le pédégé de chez Marcel Dassault. Il vient boire la bière chez moi tous les jours.
Ce qu'il aimait surtout Michel, c'était de discuter avec mes serveuses. J'en change toutes les semaines, mais je prends toujours le même modèle. Grosses fesses et gros seins. Parce que j'ai remarqué que comme ça les clients ils restent plus longtemps au bar. Ils boivent la bière en attendant que la serveuse se baisse pour rincer les verres, et après ils restent une heure à en discuter entre eux. Faut dire que mes clients, la plupart ils ont pas de femme. Ou alors c'est des tonneaux avec un foulard sur la tête et des dents en ferraille. Ou alors aussi, c'est qu'ils l'ont laissée dans le bled et qu'ils vont la voir qu'une fois par an, pour lui faire un môme, rapport aux allocations. Moi c'est le contraire. Tous les ans j'envoie Mina dans le bled pendant trois mois et c'est à moi que ça me fait des vacances.
Michel, pour les serveuses il était exigeant. D'abord, au début, il voulait pas croire que c'était pas des putes. Non, Michel, sur la tête de ma mère, si tu lui plais, tu lui paies un verre et après c'est gratuit. Enfin, gratuit ou pas, il faisait quand même des commentaires. Bel Khacem, Bon Dieu, qu'il me disait, c'est pas possible, un cul pareil. Faut lui dire de ralentir le couscous, tout de même. Mais la plupart du temps, il était plutôt content. Tu vois Nadia, il leur disait, oui parce que je leur demande à toutes de se faire appeler Nadia, rapport que Fatima c'est moins commercial, avec les seins que tu as, tu vas faire fortune en moins de deux. Allez, mets-les moi encore sous le nez un peu plus près et je te paie un verre. Et après on va faire un tour au premier étage. Mina te remplacera au bar. Bel, passe-moi la clé de la chambre et la boîte de capotes.
Il était comme ça Michel, ah ben oui. Toujours gentil avec les Arabes. Il me buvait une douzaine d'Heineken tous les jours, c'est la vérité. Et puis un jour Mektoub, la destinée. Il est sorti du bar en marche arrière, en me disant à demain Bel Khacem, et mets encore une Kro à Picasso, pour la route, et il s'est fait percuter de plein fouet par un Marocain qui venait juste de voler un scooter. Le pauvre, il a même pas pu finir sa Marlboro qu'il venait juste de l'allumer. Picasso quand il a vu ça, il a pris un couteau de cuisine et il a foncé en criant, enculé d'Arabe, moi je vais t'égorger et te couper les couilles. Mais les flics sont arrivés avant qu'il ait commencé.
On a tous été catastrophés. Oui mais nous les Arabes on n'est pas des chiens, alors on s'est cotisés pour lui faire une couronne. Je savais pas trop quoi écrire, sur la couronne, mais c'est Abdelkader qui a trouvé. Il est très instruit, Abdelkader, même qu'il est livreur chez Pizza Hut. Il s'appelle comment déjà, ton bistrot ? il m'a demandé. Ben, le Bar des Amis, c'est la vérité, pauvre con. Comme si tu le savais pas. Bon, ben alors tu as qu'à faire mettre : Ses amis du Bar des Amis, et voilà.
Pour les obsèques, en plus de Picasso, j'ai fait venir l'imam de la mosquée d'à côté, celle dans le vieux garage désinfecté à côté de la décharge municipale. C'est parce que je me suis souvenu que Michel, un soir, il m'avait dit, tu vois, Bel Khacem, moi quand je mourrai, j'aimerais bien qu'il y ait un imam pour me bénir. Mais Michel, je lui ai dit, tu es pas musulman. Les Français, ils se font bénir plutôt par des prêtres. Un curé, il a fait, ah ça non. Plutôt crever. Non. Si j'étais dans un quartier juif, je dirais peut-être un rabbin, mais en fait, je préfère nettement un imam, parce que c'est juste pour faire chier mes collègues de bureau.
Malgré qu'il était Français, Michel, je lui ai donc dit à l'imam, c'était un très bon musulman. Ah mais oui. Tous les vendredis il venait faire la prière chez moi, c'est la vérité. L'imam quand même il s'est un peu fait prier, c'est le cas de le dire, en me disant que les bons musulmans ils se font plutôt enterrer au lieu que de se faire brûler. Mais j'ai insisté en disant qu'il faisait, Michel, le Ramadan avec ferveur, et que de toute façon il buvait jamais une goutte d'alcool, c'était la vérité, alors il est venu quand même, l'imam.
Çà fait que quand il a vu le cercueil, il s'est précipité dessus avec la barbe en avant, il s'est mis à pleurer comme un âne, à se donner des coups de poing sur la poitrine, et pendant une bonne demi-heure il a hurlé des sourates du coran. Et après, moi à Michel je lui ai jeté une poignée de dattes et de pistaches dessus le cercueil, parce qu'il adorait ça, les dattes et les pistaches. Surtout pour cracher les noyaux dans la figure de Picasso.
À un moment vers la fin, j'ai aperçu un monsieur très distingué mais plutôt pas grand, en tout cas pas du tout le genre à venir boire la bière chez moi. Alors je me suis permis de lui adresser la parole, mais très poliment pour une fois. Pas comme avec mes clients.
- Salamalekoum, Monsieur le président, excusez-moi si pardon je vous dérange, mais est-ce que des fois vous savez si Marcel Dassault il est là ? J'aurais voulu lui présenter mes condoléances, au nom de la communauté musulmane d'Asnières, Abdullah.
- Ah ? Vraiment ? J'aurai donc tout entendu. Non Monsieur. Marcel Dassault s'est fait excuser. Il a envoyé sa mère à sa place. C'est qu'avec tous ces avions qu'il vend, voyez-vous, il n'a pas une minute à lui.
- Des avions ? Vous êtes sûr ? Michel un jour il m'a dit qu'il fabriquait des tracteurs.
- C'est que ça devait être assez tard le soir et qu'il a un peu confondu. Mais dites-moi, puisque vous êtes là, je ne savais pas qu'il s'était converti à l'islam, sur le tard.
- C'est pas sur le tard, qu'il s'est converti, c'est plutôt sur le bar. Mais au fait, vous aussi, Monsieur, vous êtes pédégé chez Marcel Dassault ?
- Non, je vous prie de m'en excuser, seulement directeur, autrefois. Lui non plus d'ailleurs il n'était pas pédégé. Mais ça ne m'étonne pas de lui qu'il ait réussi à vous le faire croire.
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