GÉRALDINE B. - EXPERTE ÉMÉRITE - ANCIENNE COMBATTANTE - MILITANTE FÉMINISTE
Ah mais oui, je l'ai très bien connu. Il a toujours été avec moi en toute circonstances d'une politesse exquise, d'un savoir-vivre irréprochable et d'une bonne humeur très communicative.
J'ai fait sa connaissance fortuitement, c'était, je m'en souviens, début 84, l'année de mon deuxième divorce, un samedi midi dans une pizzeria crasseuse de la Place des Fêtes.
Dès le premier regard, j'ai compris immédiatement que mon cul l'intéresserait toujours bien davantage que ma conversation, et qu'il n'était pas du genre à patienter trois semaines avant d'obtenir l'autorisation de me sauter. Et l'un dans l'autre, si j'ose dire, ce n'était pas trop pour me déplaire, car j'étais moi-même alors depuis près d'une semaine dans un cruel manque d'affection, au point que j'en avais pour ainsi dire la chatte en feu.
C'est pourquoi on n'a pas perdu de temps en vains préliminaires. Je vous offre un café vite fait et ensuite, si ça vous dit, on y va, parce que ça tombe bien, vous allez rire, j'habite à côté, c'est tout ce qu'il m'a dit au second abord, juste après m'avoir préalablement déclaré qu'il me trouvait charmante. Et donc voilà, même pas le temps de digérer ma pizza, c'était fait. Un véritable coup de foudre.
Et alors, ce furent plusieurs mois de passion intense. C'est un homme chez qui je n'ai jamais eu le loisir de regarder la télévision. Les voisins se plaignaient du bruit, mais il s'en fichait totalement. Quand on était dehors, ça pouvait arriver n'importe où, à n'importe quelle heure. Au restaurant c'était en général entre l'entrée et le plat principal, quelquefois en attendant le dessert, et au cinéma, je me demande bien pourquoi on y allait, vu je ne voyais jamais guère plus que la moitié du film, et lui non plus d'ailleurs, tellement il était occupé à explorer mes parties reproductives.
En voiture, c'était particulièrement distrayant et même parfois acrobatique, surtout sur le boulevard périphérique. Il était très habile, je dois dire, pour conduire avec une seule main. Et les camionneurs qui nous klaxonnaient, ça lui était bien égal. Je les emmerde, tous ces obsédés, ils ont qu'à regarder des DVD pornos dans leu putain de camion au lieu de me faire chier. Accélère le mouvement, ma puce, c'est pas le moment de faiblir, on est presque arrivés à la Porte des Lilas, et va falloir conclure avant de sortir, parce que je tiens pas trop malgré tout à finir la journée chez les flics, même avec toi.
Une fois, pas deux, je l'ai amené chez moi. Parce que le lendemain j'étais trop fatiguée. Quand il a vu le miroir sur le côté de mon lit et le deuxième au plafond, il m'a dit Géraldine tu vas vivre une nuit inoubliable. Ce en quoi j'ai trouvé qu'il se vantait quelque peu, car je ne l'avais pas attendu, moi avec mes deux miroirs, pour passer avant de le connaître un assez grand nombre de nuits inoubliables. Mais enfin, je dois l'admettre, cette nuit-là je n'ai jamais réussi à dormir plus d'un quart d'heure d'affilée.
Ce qui fait que par la suite, quand il me raccompagnait après dîner chez moi à Saint-Mandé, je préférais plutôt qu'on s'arrête une petite heure ou deux dans le Bois de Vincennes, pour prendre le café des pauvres, comme il disait. Je préférais quand même ça plutôt que de le laisser monter chez moi. Le matin, quand on travaille, il faut quand même réussir à se lever et à avoir dormi un peu.
Le résultat d'une liaison pareille, c'est qu'en moins d'un trimestre j'ai réussi à égarer dans les endroits les plus divers une bonne demi-douzaine de petites culottes. Dont une en plein milieu du jardin du Luxembourg, à l'intérieur du Guignol. Les enfants ont adoré le spectacle, et quand on a eu terminé ils nous ont fait un tonnerre d'applaudissements. Au point qu'il nous a fallu donner une seconde représentation et que pour finir on s'est retrouvés au commissariat. Il a expliqué aux flics que c'étaient les sculptures de Maillol qui lui avaient fait grimper la libido en flèche et que par conséquent ce n'était pas de sa faute et qu'il n'y avait pas délit.
Lui, il avait les moyens de payer les amendes pour outrage à la pudeur sans sourciller, mais pour moi, ces oublis vestimentaires à répétition, cela devenait à la longue coûteux. Et c'est ainsi que par la suite, quand je me préparais pour aller le voir, j'ai pris l'habitude de la mettre, ma petite culotte, dans mon sac à main plutôt que sur moi.
C'était à la fois une économie et un gain de temps. Lui, il a été un peu contrarié par une telle initiative. Il adorait me l'enlever lui-même, soupirait-il, et souvent même avec les dents.
Cela dit il était véritablement charmant. Toujours de bonne humeur. Il n'arrêtait pas de me faire des compliments. Avant, pendant et après. Il était sur mes parties intimes totalement intarissable. Il les a même, une fois, entre deux séances, photographiées sous tous les angles et dans toutes sortes de positions. Comme il était d'une honnêteté irréprochable, il a tenu à me donner les négatifs, pour que je voie bien qu'il n'avait pas l'intention d'en vendre des tirages à tous ses copains de bistrot. Ce qui était très délicat de sa part.
J'ai été par contre un peu moins enchantée quand j'ai vu qu'il avait tapissé les murs de son appartement avec. Mais comme il avait fait la même chose avec toutes ses précédentes connaissances, je ne me suis pas offusquée outre mesure. Il y a des gens qui décorent leur salon avec des têtes de sanglier ou de cerf, ou le portrait de leur grand-mère, lui c'était avec des photos de fesses et de foufounettes.
Il aimait à citer Serge Gainsbourg, qui disait que s'il avait été beau garçon il serait mort d'épuisement. Souvent aussi, après par exemple qu'il ait passé une demi-heure à respirer par le nez du côté de mon clitoris, il me faisait de tendres déclarations. Tu vois, Géraldine, il disait, avant de te connaître j'avais des tendances pour ainsi dire dépressives. Je me disais que la vie valait pas la peine d'être vécue, des conneries comme ça. Plusieurs fois, j'ai même failli aller voir un médecin, tu te rends compte l'état où j'étais ? Mais depuis que tu est entrée dans ma vie, j'ai changé du tout au tout. Je suis toujours content, je fume moins, je bois à peine et je dors très bien. Tout ça grâce à toi, mon ange. Ça te fait plaisir, c'est vrai, que je te dise ça ? Bon, ben alors qu'est-ce que tu dirais d'une petite fellation comme tu sais si admirablement les faire ? Ou alors une levrette, c'est pour ainsi dire ce que je préfère, ou même les deux, dans l'ordre que tu souhaites. Quand on aime, on compte pas, hein ?
Il lui arrivait aussi, quand je me reposais seule chez moi, de me téléphoner au milieu de la nuit. J'arrive pas à dormir, mon lapin, il soupirait, j'ai envie de jouer au docteur, hein, tu veux bien ? Bon, ben alors tu entres, tu dis bonjour docteur, tu t'assois en écartant bien les jambes, et moi je te dis bonjour mademoiselle, je vais vous examiner. Montrez-moi donc où ça vous fait mal. Et c'était parti comme ça pour une heure d'auscultation approfondie, après quoi il me disait bon, ben ça va nettement mieux, j'ai drôlement bien fait de t'appeler, merci infiniment ma biche, et fais de beaux rêves.
Malgré sa bonne humeur naturelle, c'était une nature inquiète. Il se plaignait souvent qu'il avait mal au dos le matin et qu'il ne savait pas pourquoi. Je le rassurais. T'inquiète pas, Michou, moi aussi j'ai souvent mal au dos, surtout vers le bas, mais je sais pourquoi.
Quelquefois, il se mettait même au bord de la panique. Oh merde, une éjaculation précoce ! Ça fait des années ! Je croyais que j'étais guéri. Mais t'inquiète pas, demain je passerai à la pharmacie pour qu'on me donne quelque chose. Tu m'en veux pas, hein, tu m'en veux pas ? Allez, te fais pas de souci, tu me laisses un petit quart d'heure pour souffler, deux Marlboro et deux trois bières et on recommence tout par le début. Oui, parce que j'ai oublié de vous dire, côté tabac et boisson, il n'était pas paresseux non plus.
Eh oui, c'était à peu près comme ça, la vie avec lui. Heureusement qu'on ne se voyait pas tous les jours, sinon je n'aurais pas pu continuer à travailler. Lui, il m'expliquait, c'était sans problème, il avait toute sa journée au bureau pour se reposer.
On n'a jamais vraiment envisagé le mariage. Surtout qu'il était encore marié, après que sa femme se soit mise en ménage avec, disait-il, un individu dépourvu de toute conversation et con comme un balai.
Je l'approuvais, bien sûr, mais en me disant quand même que sa conversation à lui n'était pas non plus trop souvent des plus enrichissantes sur les plans culturel ou sociologique. Il m'est même arrivé à l'improviste de lui en faire légèrement le reproche. Il ouvrait alors des yeux tout ronds et me disait, ben mimine, tu voudrais quand même pas que je te récite du Victor Hugo ou que je te parle de mon directeur pendant que je t'enfile ou que tu me fais une pipe ?
L'un dans l'autre, encore une fois, on était quand même bien, ensemble. Ça aurait pu durer encore des années, c'est sûr, mais voilà qu'il s'est mis à espacer nos rencontres. Et à devenir nettement moins vigoureux et enthousiaste. Il me disait que c'était à cause du cassoulet qu'il avait mangé à midi et qu'il l'avait pas digéré, ou alors qu'il avait chopé en réunion une migraine terrible. Enfin le genre d'histoires que dans ma jeunesse, j'avais l'habitude de servir le soir à mes ex-maris après avoir passé l'après-midi à l'hôtel. Donc, j'ai rapidement compris qu'il y avait quelqu'un d'autre et que ce quelqu'un d'autre l'intéressait encore plus que moi.
Je dois dire qu'il s'est excusé très poliment. C'est une personne, il m'a expliqué, qui a de gros besoins, une santé féroce et qui dort très peu. Faut bien que j'assume. Et puis c'est que je commence à vieillir, à presque 35 ans. Alors il ne faut plus trop que je me disperse, tu comprends ? Ah mais ne te fais donc pas de souci, mon petit lapin, je lui ai dit, je ne vais pas me vexer pour si peu. Les hommes à peu de choses près sont tous bâtis pareil. C'est seulement l'enthousiasme qui les différencie.
Et de fait, il ne m'a pas fallu trop longtemps pour lui trouver un remplaçant de qualité équivalente. Il m'a fait trois ans, celui-là. Un homme lui aussi d'une énergie et d'une imagination débordantes.
Avec Michel on a quand même continué à se voir de temps en temps. Pendant plusieurs années, on a célébré un genre de messe anniversaire, au restaurant d'abord, et ensuite à l'hôtel. Alors là, un véritable feu d'artifice, à faire s'écrouler les meubles et les cloisons.
N'exagérons rien, je ne peux pas dire qu'il ait été le grand amour de ma vie. Ni même le meilleur coup. Mais quand même, il était gentil et drôle. C'est déjà pas si mal, chez un homme.
Et puis voilà, j'ai un peu vieilli, et aussi un peu grossi, avec les années. À peine, mais ça commence à se voir. Et avec le temps, va, tout va bien mais tout s'en va quand même. Et le sexe à la longue a cessé d'être ma préoccupation première. Même notre partie de jambes en l'air annuelle a cessé. Mon cul en somme a pris sa retraite.
On se téléphonait de temps en temps, et même parfois on déjeunait ensemble en évoquant nos souvenirs et nos exploits. Il était tendre, il me souriait, il me faisait rire. Il me disait que j'avais compté dans sa vie, et je sais qu'il ne mentait pas.
Et puis je suis restée un grand bout de temps sans avoir de ses nouvelles. J'espérais bien quand même qu'il vivait et qu'il bandait encore. Jusqu'à ce que, hélas, j'apprenne sa mort. J'ai été informée parce qu'il gardait toujours sur lui une liste d'une douzaine de noms et de numéros de téléphone de personnes à prévenir en cas de décès. Rien que des femmes, évidemment. J'en faisais partie.
Ça l'a surpris en plein effort et sur la bête, tel les regrettés Félix Faure et Monseigneur Daniélou. Eh oui, je sais bien, c'est un peu triste, quand on y réfléchit, périr comme ça dans la fleur de l'âge, mais il ne pouvait pas finir mieux ni autrement. C'était même prévisible.
Au Père-Lachaise, j'ai vite constaté sans trop d'étonnement que nous avions été plusieurs à le fréquenter. Chacune de ses anciennes connaissances était venue par ses propres moyens. Il y en avait de tous âges, de toutes nationalités et de toutes confessions. Certaines de toute évidence se connaissaient intimement. Je me suis souvenue alors que son lit était assez large pour accueillir trois personnes, voire quatre. Toutes les jeunes filles ne sont pas aussi alertes et endurantes que toi, mon canard, m'expliquait-il alors. Certaines parfois préfèrent se faire relayer.
Pour la circonstance j'ai fait preuve d'audace et d'innovation. Et tant pis pour l'opinion publique, cette chienne. J'ai donc en toute tranquillité d'esprit retiré mon string et je l'ai délicatement déposé sur le cercueil, à hauteur de sa tête, afin qu'il en profite une dernière fois.
Cela n'a pas échappé à un homme d'un certain âge, pas très grand ni jeune mais encore très séduisant, dont il y a vingt ans j'aurais bien fait mon quatre heures, et qui m'a abordée très aimablement.
- Toutes mes condoléances, Madame. Quelle fin brutale ! Mais quelle charmante attention de votre part ! Je crois comprendre en vous observant que vous étiez en très bons termes avec lui.
- Vous savez, cher Monsieur, c'est bien la moindre des choses. Michel et moi, sans me vanter, je dois vous avouer que nous avons eu une relation des plus enrichissantes, autrefois. Je me devais de lui rendre hommage.
- Je n'en doute pas une seconde. C'est seulement dommage qu'il n'ait pas autant enrichi l'aéronautique qu'il ne vous a enrichie vous. Il aurait sans aucun doute fini directeur, comme moi. Je présume que les deux activités sont mutuellement exclusives. Acta est fabula.
- Je vous offre un verre ?
- Vous êtes aimable mais non. Je serais en retard au Collège de France. Il y a une conférence sur Wittgenstein.
- Le premier ?
- Non. Le deuxième, qui comme vous le savez a réfuté le premier. Et vous n’allez pas le croire, moi non plus d’ailleurs, la conférencière c’est sa fille.
J'aime vraiment beaucoup ce billet; les autres aussi d'ailleurs, mais je trouve celui-ci particulièrement bien écrit, entre Henry Miller et L'homme qui aimait les femmes. Je suis très émue par la fin, bien sûr.
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