Voyage en Italie est très surestimé
Poutant j’aime beaucoup George Sanders. Surtout sa note avant suicide. Dear World, I am leaving because I am bored. I feel I have lived long enough. I am leaving you with your worries in this sweet cesspool. Good luck.
Mais là n’est pas le sujet. La retraite est une agonie qui n'en finit pas. Surtout quand votre compagne a entrepris de détruire méthodiquement l'appartement où vous pensiez finir vos jours, et que vous vous retrouvez seul face à Internet, reclus dans un réduit minuscule, sinistre et délabré, où ne filtre jamais le moindre rayon de soleil.
J'exagère. A peine, mais un peu tout de même. La retraite est un bonheur de tous les instants. Bonheur de cinéphile, de lecteur, de curieux. Truffaut l'a dit qui ne se trompe jamais.
Oh ! moi, je suis un raté. Mais alors, que dois-je devenir ? — Un Curieux. — Ce n'est pas un métier. — Ce n'est pas encore un métier. Voyagez, écrivez, traduisez..., apprenez à vivre partout. Commencez tout de suite. L'avenir est aux curieux de profession. Les français sont restés trop longtemps enfermés derrière leurs frontières. Vous trouverez toujours quelques journaux pour payer vos escapades.
Je suis devenu addictif du forum de Libération. J'y ai trouvé le paradis des exercices de style et des vocalises. Il a fallu, tout de même, que j'apprenne la navigation en marécage. C'est une forêt de cauchemar, où sévissent en toute liberté et impunité des espèces par centaines de bestioles et de mastodontes immondes ou stupides, toujours désespérants. On apprend vite, bien heureusement, à ne pas les voir. Et on découvre aussi, fréquemment, des fleurs admirables et des arbres majestueux. On apprend à les repérer très vite, il arrive aussi qu'ils viennent à vous. Parfois on débute dans les insultes, et cela devient de l'amitié. Et c’est ainsi que je joue à présent dans une cour où s’ébattent joyeusement des anarchistes sexagénaires, des militants confirmés et des littéraires de haut niveau. Cour que suite à un séjour dans l’Utah, l’été dernier, j’ai baptisé La tribu des Nez-percé.
Tell General Howard I know his heart. What he told me before, I have it in my heart. I am tired of fighting. Our chiefs are killed; Looking Glass is dead, Too-hul-hul-sote is dead. The old men are all dead. It is the young men who say yes or no. He who led on the young men is dead. It is cold, and we have no blankets; the little children are freezing to death. My people, some of them, have run away to the hills, and have no blankets, no food. No one knows where they are—perhaps freezing to death. I want to have time to look for my children, and see how many of them I can find. Maybe I shall find them among the dead. Hear me, my chiefs! I am tired; my heart is sick and sad. From where the sun now stands, I will fight no more forever.
Alors la Toscane, parlons en. C'était mon quatrième voyage. La fois précédente Dominique était enceinte d'Antoine. Cette fois on a fait surtout les petites villes et la campagne. J'ai refait connaissance avec les petits vieux sur les bancs, attendant patiemment le soir. Comme à Castel di Tora, comme en Sicile. La campagne toscane est sublime, forcément sublime. Elle retient aussi, avec ses virages en épingle de nourrice, toute l'attention du conducteur.
Tout a été restauré. Et il n'est plus un village où le stationnement ne soit interdit aux véhicules de touristes. A Sienne, j'ai tout de même réussi à aller me garer aux pieds de la cathédrale, après avoir frôlé le Campo devant des centaines de touristes incrédules. Cathédrale dont le pavement brille à présent de tous ses feux. Internet disait que l'hôtel était à deux pas de la cathédrale, deux pas de géant mais peu importe. Je procède ainsi du reste systématiquement. C'est pour moi le seul moyen de retrouver ma voiture si je suis seul.
Le Campo reste la plus belle place du monde. La Maesta est toujours autant à couper le souffle. Mais d'abord et avant tout j'ai vu une petite fille qui essayait d'attraper un pigeon. Elle essaiera toujours, je ne la verrai jamais en attraper un. Et je ne sais pas si je reviendrai à Sienne. D'autant que moi aussi, j'y suis.
Et Florence, San Miniato del Monte, on en a immédiatement rêvé, en la voyant de notre hôtel, dominant la ville. Et on avait raison. On y accède par un escalier. Et à l'intérieur, pour le choeur, il faut encore monter des marches. Two steps to heaven, aurait pu chanter Eddie Cochran. Le Piazzale Michelangelo par contre, si sublime autrefois. Sublime au point que c'est devenu l'équivalent laïc du Mont Saint-Michel et de Rocamadour réunis. Nous n'avons eu d'autre solution que la fuite.
Extraordinaire concentration de population entre le Duomo et la Piazza della Signoria, se livrant avec ardeur à l'étude comparative approfondie des prix du textile et du cuir. Ailleurs, nous deux rien d'autre. San Marco, Santa Maria Novella, San Lorenzo, la Galleria dell Academia, Oltrarno et tutti quanti, nous les avons vécus dans une solitude presque inquiétante. Et même le Offices. Botticelli, believe it or not, était calme. La famille d'Urbino, de Piero della Francesca, nous n'avons pas le moins du monde été dérangés. J'en reparlerai, de Piero le fou.
Lucca gagne à être connu, Pise c’est plutôt le contraire
S'arrêter à Lucca était bien entendu obligatoire. On peut admirer à Lucca une des plus belles places d'Italie. La moindre ville toscane du reste offre à ses visiteurs une des plus belles places d'Italie. Et pas deux qui soient pareilles. Celle de Volterra, celle de Perugia, j'en toucherai deux mots sans faute. Mais alors le clou, c'est que Lucca est la patrie de Puccini. Tosca, Turandot, Madame Papillon, Sur la mer calmée et tutti quanti. Tosca autrefois, ça me faisait le bonheur du dimanche matin, dans la baignoire. Je communiais avec mon épouse d'alors, sainte comme elle était, avec une pause café entre les trois actes, je peux témoigner que ce sont des choses qui ne s'oublient pas. Et aussi, je le dis sans hésitation, de tout temps j'ai trouvé Puccini bien supérieur à Verdi. Car on s'imagine avoir entendu Monteverdi, et en fait on n'a entendu monter personne.
Voilà, je tiens à le signaler pour ceux qui seraient tentés, un des principaux effets désolants de la fréquentation accidentelle d'un psychanalyste lacanien. Non seulement les traces sont indélébiles, mais en outre elles sont totalement débiles. Je m'en veux énormément. Je ne comprendrai jamais comment il m'a fallu trois mois pour qu'enfin se déclenche le réflexe salvateur consistant à s'enfuir à toutes jambes et épouvanté. Je buvais un peu, à l'époque. Que n'ai-je eu l'intelligence de convertir les honoraires de Jack l'éventreur en 1664 et en Bénédictine ? Je me le reprocherai jusqu'à la fin de mes jours.
Ayant vu Lucca, nous consultâmes la carte routière. O divine surprise, Pisa était à un jet de pierre. C'était maintenant ou jamais et nous étions pour une fois unanimes. Nous n'allions pas nous perdre en conjonctures, d'autant que la visite se présentait sous les meilleurs hospices. Eh bien avec le recul, il aurait nettement mieux valu que ce ne soit jamais. Et je peux le prouver. Rien en effet ne paraît plus simple et lumineux que d'accéder à la fameuse tour. Tous les monuments sont concentrés sur la Piazza dei Miracoli, et c'est précisément à l'entrée de la ville. On ne saurait rêver plus aisé. Malheureusement, il est très difficile d'identifier l'entrée de la ville. Mais, pour des raisons qui m'échappent, je suis né chanceux. Au bout d'une demi-heure, désespéré, j'ai décidé de me garer n'importe où et on verrait bien. Et en effet on a vu. Faisant un créneau et me retournant, qu'ai-je vu, à moins de cent mètres ? La tour. Et effectivement, elle penche. Mais ce n'est pas ce qui m'a le plus frappé au premier abord. Ce n'est pas l'extraordinaire musée des horreurs touristiques non plus. C'est l'incompréhensible concentration d'Africains vendeurs de Rolex garanties authentiques.
La tour, je n'y suis pas monté. J'avais fait la même chose à Bologne, autrefois, quand j'étais plus vaillant. A Bologne aussi, il y a une tour qui penche, il y en a même deux, la principale est plus haute que celle de Pisa et on n'en fait pas tout un plat. Je n'en tire du reste aucune gloire. Mon épouse promettait de se mettre en grève si je ne gravissais pas avec elle. Sinon, adieu le septième ciel. J'ai donc sur la Piazza dei Miracoli plus ou moins divagué pendant que Dominique montait et luttait contre la nausée. A la cathédrale j'ai eu un problème, mais je ne sais plus lequel. Le seul intérêt du Baptistère, c'est de monter au premier étage pour admirer les fonts baptismaux, ce que j'ai oublié de faire. Et le Camposanto, c'est tout sauf un cimetière, mais il comporte néanmoins d'admirables fresques du Jugement Dernier, habilement dissimulées afin que les touristes ne les voient pas. Malgré tout nous ne sommes pas venus pour rien. Nous sommes repartis avec deux magnifiques magnets. L'un représente Homer Simpson essayant d'empêcher la tour de tomber. L'autre c'est la même chose, mais c'est Grosminet. Il a fallu pour cela que je réussisse à faire croire à Dominique que c'était pour les enfants. Ils occupent à présent la meilleure place sur la bibliothèque du séjour, entre Cioran et Joyce.
Avec l'entrée à Pisa on croyait avoir tout vu. La sortie nous prouva qu'il n'en était rien. L'idée même nous effleura de s'arrêter dans le premier hôtel venu pour reprendre des forces. Nous sommes passés quatre fois je crois sous le même viaduc. Mais finalement finalement il nous fallut bien du talent, mais nous avons quitté Pisa. Pour toujours.
Le moment est opportun pour évoquer cette spécificité italienne qu'est la signalisation routière aux abords des villes. A l'intérieur, le sujet est sans objet puisqu'on ne peut pas pénétrer. On pourrait sur cette question rédiger des thèses, organiser des colloques, voire des séminaires internationaux. N'en ayant ni l'ambition ni les moyens je me limiterai à l'anecdote. Oui, parce que si je veux me lancer dans le business du guide de voyage, où il y a pléthore et où règne une compétition féroce, il faut que je trouve un créneau très précis. Sachant que je suis d’une ignorance abyssale dans pratiquement tous les domaines, et tout particulièrement l’histoire, la géographie, l’architecture et tous les autres arts, il ne me reste guère que le vécu. Très important, le vécu. Ou alors, je le fais très bien aussi, sur n’importe quel sujet, ne parler que d’autre chose.
Et donc, pour en revenir à la circulation, j'ai pu noter tout au long de mon séjour qu'il est fréquent, lorsqu'on souhaite se diriger vers une destination quelconque, de découvrir avec soulagement et après un certain temps, un minuscule panneau la confirmant. Il convient dès lors d'appliquer la plus extrême vigilance, car dix kilomètres plus loin, alors que l'on commence à être assailli par le doute, un énorme panneau surgit soudain à la sortie d'un virage, faisant comprendre impitoyablement que l'on vient de prendre la direction opposée, et ce sans aucun espoir de retour.
Enfin et tout naturellement vient à l'esprit la question relative au comportement du citadin automobiliste italien. Ayant adopté une conduite campagnarde, peu empressée et parfois hésitante, j'ai souvent été les premiers jours un peu surpris en recevant par rafales de furieux coups d'avertisseur, accompagnés de gestes frénétiques et de déclarations injurieuses relativement à ma sexualité, pour le plus grand bonheur, je l'imagine, de la mamma, des ragazzi et des bambini entassés dans la machina, naturellement sans ceinture de sécurité. L'appel de phares de toute évidence est trop silencieux.
Dies Irae permanent aux carrefours et sur les ronds-points.
La pâtisserie de Bayeux
C'est un lundi soir que nous sommes arrivés à Bayeux et que celle qui m'aime a pris le train. Nous étions partis le matin de la diligence, c'était le nom de l'hôtel, à Honfleur. A ne pas confondre avec la diligence de Rouen, de Madame Bovary. Emma n'aimait pas Homais. Honfleur qu'il ne faut pas confondre avec Harfleur, on serait déçu. Harfleur n'est un peu connu en vérité que par Victor Hugo, quand, à l'heure où blanchit la campagne, Victor partait à la rencontre de Léopoldine.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
La chronologie voudrait que je parle de Honfleur avant de parler de Bayeux, mais je préfère décidément l'inverse. Pareil en cela à un biographe de Céline, dont le nom ne m'échappe pas, et dont l'ouvrage commence par l'enterrement à Meudon, et se termine à la naissance, Rampe du Pont, à Courbevoie, Seine. C'est cet hiver 1894 que la Seine a gelé, ça nous remet loin. Je suis né en mai. Le vingt-sept. C'est moi le printemps. On note aussi qu'aux obsèques le succès ne fut pas au rendez-vous. Neuf personnes, en juillet 1961, pour l'écrivain du siècle, c'est peu. Oui, donc, en inversant la chronologie, je refais ma vie à l'envers. Comme Léo Ferré. Monsieur mon passé voulez-vous passer ? J'ai comme une envie d'oublier ma vie. Si j'avais à faire ma vie à l'envers, c'est vous mon passé qui me verriez repasser.
Le lendemain matin donc, j'ai quitté La Reine Mathilde, c'est le nom de l'hôtel, car Mathilde n'était pas de retour. Je marchais l'esprit en paix qui plus est, car lui, l'hôtel, et par voie de conséquence ma voiture, étaient à proximité immédiate de la cathédrale. J'étais de ce fait assuré de ne pas errer toute la nuit dans les ruelles de Bayeux. Mais légèrement rendu anxieux cependant par la perspective de passer la journée livré à moi-même et privé de tout conseil. Quiconque mettra à son programme électoral la retraite automatique des conjointes en cas de retraite du conjoint peut compter sur ma voix.
Je me suis retrouvé face à face avec la cathédrale sans m'en apercevoir. J'ai longuement admiré et photographié. Et suis parvenu à deux conclusions implacables. La première, c'est que la cathédrale de Bayeux est très différente de celle de Beauvais. La seconde, c'est qu'il est terriblement difficile de photographier les cathédrales. J'ai donc ensuite, muni de ces modestes certitudes, pénétré la cathédrale. C'était très beau. Ceux qui souhaiteraient une description un peu plus détaillée n'auront qu'à se tourner vers des publications un peu plus spécialisées.
Une institutrice expliquait patiemment à une classe d'école primaire la beauté d'une fresque représentant la vie et l'oeuvre de Saint Nicolas. Quelqu'un d'entre vous, petits voyous, s'appelle t-il Nicolas ? fit l'instit. Il s'avéra que le prénom est un peu passé de mode, puisque personne ne répondit. Alors une fois de plus je me suis dévoué. Moi, ai-je hurlé, je suis Nicolas Sarkozy. Et moi je suis la reine d'Angleterre, a-t-elle hurlé à son tour par retour du courrier. Les institutrices normandes ont réponse à tout. C'est alors qu'une adolescente ravissante mais en pleine crise de panique s'est jetée sur moi telle une guenon en rut. Il est où, le dragon, a-t-elle supplié, au bord des larmes. Sous les pieds de Saint Michel, ai-je répondu d'instinct. Moi aussi j’ai réponse à tout et de plus, je suis toujours prêt à rendre service. J'ai terminé mon quart d'heure pédagogique en venant en aide à trois lycéennes perplexes. Romane, gothique ou baroque ? Quelqu'un sait ? Oui, moi, ai-je répondu dans un large sourire. C'est les trois à la fois.
Fier du devoir accompli, je me suis attelé à la tâche essentielle, trouver un bistrot ouvert et y boire un café. Essentielle, oui, la découverte essentielle selon Céline est que le délire des uns ne fait pas du tout le bonheur des autres. Mais alors le café, c'est bien beau d'en boire un litre et demi au petit déjeuner, il devient dans ces conditions urgent de se mettre au vrai. Exactement pareil que la bière. Tout alcoolique honorable sait qu'après l'absorption accidentelle d'une Kronenburg ordinaire, il est indispensable de se désintoxiquer immédiatement avec un volume substantiel de 1664. A Bayeux hélas et comme ailleurs, à neuf heures et demie du matin tous les débits de boisson sont encore fermés. L'inverse de ce qu'expliqua un jour Antoine Blondin, arrivé très en retard et très abymé à une réception chez Gallimard, justifiant son retard par le fait qu'il n'avait trouvé aucun bistrot fermé. En Italie on fait la sieste, en France on fait la grasse matinée. Et la sieste également. On croit que les Africains et les Sud-américains sont les champions du sommeil. Erreur, c'est nous.
Faisant contre mauvaise fortune autre chose, je me suis dirigé vers l'esplanade Charles de Gaulle, réjoui à l'avance par l'idée de photographier en long en large et en travers le Général prononçant son fameux discours du dix juin 1944. Or, voici que trônait à la place la statue de Popa, avec des grenouilles entourant ses pieds. Popa comme chacun sait était la soeur de Guillaume le Conquérant, qui est enterré à Caen. Les médiévalistes aujourd’hui s’accordent pour dire que Guillaume aurait conquis la main de sa sœur. Il ne faut en tout cas sous aucun prétexte aller à Caen, on peut trouver des tripes à la mode d’ailleurs. J'y suis allé par erreur et j'en tremble encore. Je me suis donc assis et me suis mis à méditer. Très rapidement ma pensée s'est fixée sur Pippa Middleton. Le mariage de William et Kate fut un grand moment d'émotion. Le Prince Harry lui-même paraissait terriblement déstabilisé, et la Reine elle-même semblait avoir envie de bouffer son chapeau. Un maître d'hôtel britannique rencontré le surlendemain dans un restaurant gastronomique d'Avranches m'a déclaré partager entièrement mon point de vue. Si j'étais grossier je dirais qu'il ne lui manque que la parole. Je sais aussi qu'il s'est créée un association des admirateurs du postérieur de Pippa. J'ai assez envie d'adhérer, et même de faire de Pippa Middleton mon fond d'écran. Il est hélas hautement improbable que je lui mette un jour la main dessus, à Pippa.
Il était alors onze heures du matin. J'avais devant moi le cimetière britannique, le musée du débarquement et bien sûr la tapisserie. Et je réalise que je n'ai encore soufflé mot de l'indescriptible tapisserie. C'est parce que je ne l'ai vue que le lendemain. Ce sera une féerie pour une autre fois.
Je n’ai pas joué au bridge à Pegasus Bridge
Je ne commencerai pas mon récit avant d'avoir formulé un préambule essentiel. Qu'il soit bien clair en effet dans l'esprit de chacun que je travaille ici strictement sans filet. Un funeste matin, tout concentré que j'étais à photographier dans le moindre détail l'intérieur d'un pittoresque bistrot du célèbre village médiéval ornais répondant si je ne me trompe au nom de Domrémont, et à l'entrée duquel on pouvait lire : Entrée gratuite, sortie payante ; je suis parti en oubliant le Michelin. Sachant que ma retraite de misère ne me permet pas d'en acheter un autre avant des mois ; sachant en outre que la perspective d'effectuer une quelconque recherche Internet m'est terriblement pénible et douloureuse, il n'est donc pas impossible qu'ici et là dans mes textes se glissent quelques erreurs, mineures et involontaires. J'en appelle donc par avance à la compréhension. Je viens par exemple fortuitement d'apprendre que Popa s'écrit Poppa, et qu'elle ne fut jamais la soeur de Guillaume le Conquérant. Broutilles. Rectification néanmoins.
Poppa de Bayeux dont la statue est bien érigée au sommet d'une fontaine Place de Gaulle à Bayeux est la mère du duc de Normandie Guillaume Ier de Normandie (910-942) encore nommé Guillaume La Vigoureuse-Épée, sans doute pour les intimes. S'ensuivirent Richard Ier (930-996), Richard II (je ne sais pas-1026), Richard III (aux alentours de 1008-1027), Robert Ier (vers 1010 ou, plus probablement, 1035) puis enfin Guillaume le Conquérant (presque certainement 1027-1087). Je tenais à rétablir cette chronologie essentielle.
Par contre je viens également d'apprendre, c'est nettement plus grave, que le second prénom de Pippa est Charlotte. Et je m'en veux terriblement pour ne pas m'en être aperçu, parce que la petite Charlotte, qui n'a pas de... Et je m'arrête là, je ne souhaite pas partir en vacances dans les geôles de Reading, surtout si je dois occuper la même cellule qu'Oscar Wilde.
Pegasus Bridge est un pont. Qui diffère du pont Mirabeau au sens où sous Pegasus Bridge ne coule pas la Seine. Et la Loire non plus, contrairement à ce qu'affirmait Coluche. A river runs through it, dont j’ignore le nom, mais c'est sans importance. I am haunted by waters.
Pegasus Bridge est métallique et très moche. Par acquit de conscience, l'ancien ingénieur que je suis l'a inspecté très attentivement. J'ai découvert que c'est un pont-levis, mais je n'ai pas compris pourquoi, et encore moins comment ça marche.
Pegasus Bridge doit sa notoriété au fait que dans la nuit du six juin 1944, des parachutistes britanniques ont sauté dessus et pendant des heures ont échangé de coups de feu avec des soldats allemands en attendant l'arrivée des renforts. Certains sont morts et ils ne sont pas les seuls. J'ai bien entendu visité le cimetière d'Omaha, et bien d'autres, en Normandie. Même des cimetières allemands. Et définitivement je préfère le Père-Lachaise, pourtant là où l'une de mes filles, Émilie, repose depuis seize ans, et surtout les cimetières siciliens. Je me suis par le passé souvent promené dans de nombreux cimetières d'Europe, et je sais que les siciliens sont les plus beaux et les plus émouvants du monde. Les tombes là-bas en Sicile sont ornées de façon exquise, avec des mosaïques, et avec des vitrines qui contiennent des petits objets familiers des défunts, avec des fleurs séchées et des photographies anciennes. Et surtout il y a toujours des arbres, et des fleurs, partout. La sortie dominicale après la sieste, à Palerme, semble consister à aller fleurir le grand-père. Les voisins ainsi en profitent.
La seconde notoriété de Pegasus Bridge est le café Gondrée. Il a été le premier bistrot libéré de France, ressemble plus à un musée qu'à un bistrot, et est tenu d'une main de fer par la fille des anciens propriétaires. Une dame d'allure très digne, qui sans aucun doute a vu défiler des générations d'Anglais, parachutistes en tête. D'ailleurs quand j'y étais, j'en ai vu, quelques vétérans attablés à la terrasse, à la fois impressionnants et drôles, et bien heureux d'être là, m'a-t-il semblé. J'ai pris une carte postale et l'ai posée sur la table où j'attendais mon café. Pensant que ce serait plus simple, je suis allé au bar commander le café, et j'ai aimablement indiqué que j'avais pris une carte postale, dont j'ai même indiqué le prix. En me trompant. La dame n'a pas paru enchantée. La carte postale, c'est 80 centimes, pas 40. Elle est où ? Dehors ? Allez la chercher. Et apprenez Monsieur que chez moi, on ne part pas avec une carte postale sans son enveloppe. J'ai été un peu, je l'avoue, pour une fois liquéfié. Mais la dame a ajouté avec un sourire en coin, puisque vous êtes là restez-y donc en attendant que je vous donne votre café. Somme toute, qu'elle se paie ma tête, avec mon look de lecteur de Libé je l'avais un peu mérité. Et ça rend modeste, pour un petit moment du moins. La dame j'en suis certain ne s'amuse pas à ça avec les Anglais. Ils n'ont aucun humour.
Ach la guerre, gross malheur. C'est ce qu'a entendu mon père pendant cinq ans, venant de vieux Allemands réquisitionnés, chargés que ça leur plaise ou non de s'assurer qu'il ne s'évade pas. Pegasus Bridge, au plaisir de ne jamais vous revoir.
J’ai beaucoup ri à Ry chez Madame Bovary
Sortir de Paris par la porte de Clignancourt, continuer tout droit jusqu'à Noirceur-sur-la Lys. Continuer encore tout droit jusqu'à Martainville par la route à une voie. Après le passage à niveau non automatique et non gardé, vu qu'il n'y a plus de trains depuis 1947, emprunter la troisième piste non goudronnée à droite. Attention aux troupeaux de vaches, aux sangliers et aux chiens errants.
Ry est constitué d'une rue toute droite de deux cents mètres, qui va de l'église au musée Bovary. Un plan détaillé de la ville est disponible, au verso d'une carte postale des années trente, à la mairie de Ry, ouverte tous les mardis de neuf à onze quand il ne pleut pas. Le maire de Ry est un homme charmant. J'ai eu l'honneur et la chance d'échanger quelques aimables paroles avec lui. Il engloutissait à côté de moi une andouillette de trente centimètres. Il m'a expliqué qu'il avait la ferme intention, avant la fin de son mandat, de faire de Ry le Mont Saint Michel de l'adultère et de la pharmacie.
Ry, donc, est connu pour avoir inspiré à Flaubert Madame Bovary. J'ai bien connu Madame Bovary. Philomène Bovary, native de Bikobimbo, en Bragamance occidentale, était dans les années 70 l'une des meilleures tailleuses de pipes de Saint Claude. Le regretté Edgar Faure, qui se plaisait à dire que c'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent, lui faisait trente pour cent de réduction d'impôt pour frais professionnels. J'ai très bien connu également Gustave Flaubert. Nous fréquentions lui et moi les mêmes établissements. Là où il était de règle que dans les bonnes familles un oncle alcoolique et débauché se dévoue pour faire découvrir à l'enfant, au jour de son dix huitième anniversaire, le sens de la vie.
On est immédiatement frappé par l'état de conservation du porche en bois de l'église de Ry. C'est que, exposé aux intempéries, il est remplacé à l'identique tous les trois ans. On peut admirer également, sur le mur de l'église, une plaque à la mémoire de Delphine Couturier, qui inspira Emma. Ne jetez pas la pierre à la femme adultère, je suis derrière. Le musée des automates est très intéressant mais il est fermé le lundi, jour précisément où je visitai Ry. Un indigène local m'a expliqué que c'est parce qu'il est entretenu par le charcutier, qui de ce fait s’octroie le lundi un double jour de repos.
Madame Bovary est au dix-neuvième siècle ce que Voyage au bout de la nuit est au vingtième. Je l'ai lu six fois. Je le connais, le roman, par coeur. Si je ne me retenais pas, je dirais que c'est moi qui l'ai écrit.
Charles : C'est la faute de la fatalité.
Homais, le Fanal de Rouen : Constatons qu'aucun évènement fâcheux n'est venu troubler cette fête de famille. On y a seulement remarqué l'absence du clergé. Sans doute les sacristies entendent le progrès d'une autre manière. Libre à vous, messieurs de Loyola.
Lheureux : Moi je trouve, dit M. Lheureux, s'adressant au pharmacien qui passait pour gagner sa place, que l'on eût du planter là deux mâts vénitiens. Avec quelque chose d'un peu sévère et de riche comme nouveautés, c'eut été d'un fort joli coup d'oeil.
Monsieur le Conseiller Lieuvain, responsable du comice agricole : Le temps n'est plus, messieurs, où la discorde civile ensanglantait nos places publiques, où le propriétaire, le négociant, l'ouvrier lui-même, en s'endormant le soir d'un sommeil paisible, tremblait de se voir réveillé tout à coup au bruit des tocsins incendiaires, où les maximes le plus subversives sapaient audacieusement les bases...
Gustave Flaubert et moi et moi et moi : Ainsi ce tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude.
O Tempora ! O Maurras !
Pour les commerces de Ry on ne sait que choisir. L'épicier, c'est Aux délices d'Emma, la charcuterie c'est Au boudin de Homais, et tout du même tonneau. Et pas trace d'un McDo, et nib de kebab. Mais le négoce le plus intéressant et de loin est le restaurant gastronomique La Table d'Oscar, également désigné Le Bovary. J'ai un peu hésité. Je me disais, un lundi, ça va être vide et sinistre. Comme d'habitude je me trompais, c'était plein. On vient de loin apparemment. C'est tenu par un couple de Normands élevés au camembert et au cidre, et le chef très certainement n'est pas pakistanais. L'accueil est des plus chaleureux. Les Parisiens, les Arabes et les homosexuels, c'est plus que probable, sont toujours les bienvenus. A l'intérieur, on fait un bond en arrière de deux siècles. La décoration est plus qu'exceptionnelle. J'avais pour ne citer qu'un exemple sur la cloison à ma droite, entourées de manière exquise, le couvercle d'une boîte de Livarot et celui d'une boîte de Pont-L'évêque. J'ai commencé par des huîtres. Les voyant j'ai repensé au sketch que je faisais aux enfants quand ils étaient enfants. Elles ont toutes une âme immortelle et un nom de baptême. Elle, c'est Fernande, elle c'est Paulette... Elles hurlent, terrifiées, pas d'échalote, ça pique... Je veux pas y aller, il fait tout noir, j'ai peur... j'ai poursuivi avec des quenelles d'un brochet assurément pêché dans la région. J'ai fait un parallèle avec celles que j'ai prises, un soir à Condrieux, au sud de Lyon, il y a quelques années de ça. Elles étaient mousseuses. La patronne m'a expliqué que c'était la fierté de l'établissement. L'addition, je l'ai vérifiée trois fois. Je venais de déjeuner pour deux fois moins cher qu'à la pizzeria de mon quartier, tenue par des Égyptiens certes fort sympathiques, mais qui ne connaissent toujours pas et ne connaitront jamais l'art et la manière de faire cuire les nouilles.
J'aurais bien pris un Calvados, c'est agréable, parfois, le Calvados. Mais ce jour-là, point de Calvados. J'ai fait naturellement pléthore de photographies. L'une des nombreuses décorations tout particulièrement a retenu mon attention. C'était, rayonnant au milieu de plaques à la gloire de la race bovine, un saisissant hommage au comice agricole de je ne sais quelle commune de l'Orne. Pour photographier il me fallait m'approcher au plus près d'une table de quatre convives. Vous feriez mieux de photographier ma soeur, m'a dit l'un deux, c'est bien plus intéressant. Et je me la foutrais en fond d'écran ? Monsieur je me fous pas mal de votre soeur. Et sachez que j'ai beaucoup mieux à la maison. Et pour finir et pour les remercier je leur ai expliqué pendant vingt minutes pourquoi Rodolphe et Emma font douze fois le tour de la cathédrale de Rouen et des ruelles attenantes, en fiacre. Ils baisent, ça tout le monde le sait ; le trajet a la forme d'un phallus, ça je l'ai appris avant-hier en écoutant Skyrock.
En quittant à regret La Table d'Oscar, je me suis trouvé en face de la devanture du coiffeur barbier. Maison fondée en 1837, devanture d'origine. Dans une vitrine, un magnifique blaireau. Avec moi ça fait deux, j'ai immédiatement pensé. J'ai dégainé sans perdre un instant l'appareil photo. C'est alors que j'ai entendu soudain, venant d'une voiture garée parfaitement en travers de la boutique : Le propriétaire a le même âge que l'établissement. Il a plus de cent cinquante ans ? Presque. Ah ben tiens, bougez pas, le v'là. Un octogénaire alerte est alors apparu sur le seuil. Ah c'est toi? Core un parisien, que j'me disais. Nous avons alors, le barbier de Ry, pas de Séville où j'irai sans faute en novembre, et moi, échangé quelques impressions. En patois normand, que j'ai appris en lisant Maupassant. Et je le parle aussi assez bien, vu que le patois poitevin, ça y ressemble comme deux gouttes de pinard. Pourquoi qu'vous prenez pas votre retrait', asteur ? J'sais ben, j'a soixante trois trimes't en trop. J'va avoir une surcote, qu'y zappellent ça comme ça. Mais hein, qu'a que j'devindrai si j'a plus mes clients pour causer avec ? Y'a qua l’Internettte qui z'ont, asteur, et pis z'allez à force payer l'impôt sur la fortune. M'en fous, d’la Ternette. J'avons pas la télévision et pis d'abord ou m'fait rin. Ah ben bon, admettons, c'est une supposition. Z'avez ben connu Léon Blum, asteur, ben couillon ? Ah ben ben sur, que j'que j'lavons connu. Y va ben ? Très bin, merci pour leu. Ben not' futur Président l'est encore mieux. L'est pas d'la gueule, çuilà. L'impôt su la fortune, y va l'supprimer vite fait, c'est moi que j'vous dis. Trochecanne, qu'y s'appelle. Votez socialiss, s'rez pas déçu.
Et j'ai quitté Ry. Je reviendrai sans faute à Ry, pas sans phoque à Ry et sans joke à Ry. Tant que personne d'autre que moi, les restaurateurs, le barbier, le maire et tous les autres habitants du canton seront seuls à savoir où c'est.
Comparé à notre Crucifixion de Cimabue, votre Piero della Francesca, avec son épuisante et archi-usée Légende de la Sainte Croix, c'est que du pipi de chat.
C'est ce que me déclara dans un anglais parfait, le matin du départ, le directeur de l'hôtel le plus coûteux d'Arezzo. A quoi je répondis sur le champ : Si vous le prenez sur ce ton, je vous ferai dire que votre Cimabue dont vous me rabattez les oreilles, c'est de la crotte de chien. Le directeur ajouta alors, les larmes aux yeux et au bord de la crise de nerfs : Piero della Francesca, apprenez Monsieur que je le conchie. Le Crucifix de l'autel de l'église de San Domenico à Arezzo, qui peut être daté de 1265-1268, est la première peinture de Cimabue qui nous soit parvenue. En 1272, il passe quelque temps à Rome où il ne reste rien de son travail. Toujours la même année, il termine, dans l'église franciscaine de Santa Croce à Florence, le Crucifix qui le rendra célèbre. Cette œuvre fut partiellement détruite pendant la tempête de 1966 et entièrement restaurée. Entièrement restaurée, protestai-je alors vigoureusement, c'est vous qui le dites. Il lui manque, à votre Christ, les trois quarts de l'abdomen et la moitié du bras droit. Le clou du coup ne sert plus à rien. On dirait une victime collatérale de la guerre d'Afghanistan. Le directeur sans un mot baisa la main de Dominique, la main et rien d'autre il va sans dire, je lui fis en retour un bras d'honneur appuyé et nous quittâmes Arezzo.
J'avais choisi l'hôtel Vogue d'abord pour son prix. 220 euros la nuit. C'était notre dernier hôtel toscan, je voulais du distingué. Et aussi, l'accès était limpide. Une grande rotonde à l'entrée de la cité historique, et deux cents mètres tout droit pour être à l'église de Piero della Francesca. Mais c'était sans compter avec le plan de circulation et les chantiers des Ponts et Chaussées Italiens. Une demi-heure d'errance. Le jeune homme de la réception, soucieux de faire faire des économies à la clientèle, consacra un quart d'heure à nous décrire dans le détail la totalité des parkings et nous conseilla vivement le moins cher et le moins proche. Cinq euros par jour au lieu de huit, et seulement vingt minutes à pied. Dominique évidemment approuva avec enthousiasme, pendant que je me demandais lequel des deux j'allais tuer en premier.
A l'hôtel Vogue d'Arezzo les chambres ne sont pas numérotées. Elles portent le nom d'un artiste. Nous, forcément, on a eu Cimabue. Dieu merci, il n'y avait pas le moindre crucifix dans la chambre, seulement une boîte de Kleenex à l'effigie du célèbre Docteur ès Crucifixions. Si j'y retourne un jour, à l'hôtel Vogue, je demanderai la chambre Piero della Francesca, évidemment, mais vu la haine que la direction nourrit à son encontre, j'ai peu d'espoir. La chambre Cimabue, quand même, il faut bien l'avouer, c'est quelque chose. Pour la décrire en entier, il faudrait être Joyce, qui a réussi à infliger, dans Ulysse, à ses rares lecteurs qu'il n'a pas découragés au bout de trente pages, la description intégrale de tous les pavés de Dublin. La chambre Cimabue de toute façon est sur Internet. Deux choses tout de même m'ont frappé : le papier toilette et la salle de bains. Le pécu en effet n'est pas dans un vulgaire distributeur. Le rouleau est posé, à portée de main de la cuvette, sur un tabouret très ancien, et ceint d'une pièce de tissu brodée attachée par une faveur rose du plus bel effet. Et il y a même une rechange dans la penderie.
Pour prendre une douche on a le choix entre sept robinets, un seul ou tous en même temps, que l'on peut orienter à son gré. Je ferai néanmoins un reproche minime : une notice d'utilisation, ne serait-ce que de trois pages, serait la bienvenue. Le premier matin je me suis douché avec des glaçons, le second je me suis brûlé au troisième degré. Et alors j'ai gardé le meilleur pour la fin : l'éclairage. Il y a dans la salle de bains une rangée de spots diffusant une lumière orangée de faible intensité, qui grâce à une ouverture astucieusement pratiquée dans le mur de séparation, permet d'éclairer le lit. Il ne m'a pas fallu trop longtemps pour comprendre à quoi ça pouvait bien servir et pour passer malgré mon grand âge aux travaux pratiques. Alors évidemment, tous les hôtels ne peuvent pas se permettre ça. Mais tout de même, à Bayeux et à Avranches il y avait sur le côté du lit un grand miroir. Mais Dominique hélas était repartie travailler, et par les temps qui courent, les femmes de chambre, il vaut mieux éviter. Il est heureux du reste que Dominique travaille, sinon, financièrement, je ne m'en sortirais pas. Enfin, j'ai quand même voulu voir, à Bayeux et à Avranches, l'effet que ça fait. Et ce que j'ai vu de plus érotique, à vrai dire, c'est que mon zizi est devenu invisible et que j'ai tout intérêt à ralentir la tête de veau. J'ai eu autrefois et ai encore une tendre amie, dont le cul aux dernières nouvelles n'a toujours pas pris sa retraite, qui en avait posé un, de miroir, au plafond de sa chambre. Mon ange, je lui ai dit en découvrant la chose, cette nuit ça m'étonnerait que tu dormes beaucoup. Mon petit lapin, elle a répondu, ça sera ni la première ni la dernière fois. Et pour clore le sujet de l'hôtel Vogue d'Arezzo, j'ai noté qu'évidemment il n'y a pas, quelle horreur ce serait, le moindre fast-food dans le centre historique. A l'exception de deux kebab. Le premier est accolé à l'hôtel Vogue, le second est en face.
Nous avons diné pour trois fois rien dans le meilleur restaurant d'Arezzo. Je n'en tire aucune gloire, de tout temps j'ai été une machine à renifler les restaus. Dominique aussi mais un peu moins. Souvent même j’ai pleuré en regardant mon assiette. Alors en Italie c'est certain, c'est un peu plus difficile qu'ailleurs, mais ça rend la recherche encore plus passionnante. Les critères, ce sont, un, l'absence de toute indication publicitaire, deux, une porte d'entrée insignifiante et minuscule. Et c'est le cas de La Buca di San Francesco. Une fois entrés on a découvert la crypte de la cathédrale de Canterbury, où ne manquait que la photo de Samuel Becket, l'Archevêque. Au point que Dominique a été prise de panique et s'est écriée : c'est des moines qui tiennent ça, on va nous servir une soupe à l'eau tiède et rien d'autre, foutons le camp immédiatement. Mais je n'ai pas perdu mon calme. Pars si tu veux, sweetheart, moi si tu veux bien je reste. Et j'ai eu raison. D'abord, la déco était super. Entre autres merveilles il y avait une affiche représentant San Francesco en train de parler aux petits oiseaux. Et finement légendée : Postes italiennes, efficacité et rapidité depuis 1178. Et surtout j'ai eu des champignons. J'en mange, des champignons, en toutes circonstances. En Pologne quand j'y étais c'était matin midi et soir, avec de la vodka au petit déjeuner, ça passe encore mieux. Enfin ça passait, parce que ça passe plus.
Et enfin le lendemain nous y fûmes, à l'église San Francesco, qui, avec son aspect austère et tout en briques, fait penser à un immeuble du Bronx, pour ne pas dire une centrale nucléaire miniature, abrite, je crois l'avoir déjà dit, la Légende de la Sainte Croix, de Piero della Francesca. On visite par groupes de vint-cinq personnes et on peut admirer les fresques pendant maximum une demi-heure. J'avais drôlement eu raison de réserver trois mois à l'avance, je me souvenais m'être fait niquer à Milan avec la Cène de Léonard de Vinci dans le réfectoire d'un monastère, mais là on était trois Japonais et nous, et on y aurait passé la journée, devant les fresques, c'était pareil. On est donc sans plus tarder allés au poste de garde, où on nous a dit d'aller chercher les billets au gift shop, deux cents mètres à droite en sortant. S'y trouvait un jeune homme visiblement désolé d'être si seul et si débordé, très occupé néanmoins à téléphoner à sa soeur, à sa mère et à ses petites amies. Ca coutait, les fresques, deux euros et il n'y avait pas de tarif senior. Quand Dominique a présenté sa carte de presse, qui lui donne accès libre et gratuit à toutes expositions et musées du monde, et c'est d'ailleurs à cause de ces colossaux avantages en nature qu'elle est si mal rétribuée, le jeune homme a brandi un formulaire recto verso, qu'il lui a fallu à ma tendre compagne dix minutes pour compléter. Nous sommes repassés au gift shop après les contemplations. Une dame charmante avait rejoint le jeune homme et ils tenaient tous les deux une conversation amicale, animée et contradictoire. Je me suis présenté à la caisse avec le bouquin, les cartes postales et les magnets. Au bout d'un quart d'heure, ne voyant rien venir, j'ai alors hurlé : Prego Signor. Ce à quoi le jeune homme a répondu sur le même ton : Subito Grazie Signor. Il a encaissé ma carte bleue et m'a gratifié d'un non moins retentissant : Buonissimo Signor Mille Grazie Buongiorno Arriverderci. Il était dix heures et sa journée de travail ne faisait que commencer.
Je ne vais peut-être pas essayer de dire des choses trop intelligentes sur la Légende de la Sainte Croix, de Piero della Francesca. Il y en a trois pages sur Internet, je ne vois pas ce que je pourrais ajouter. Par contre, je peux dire deux mots de La résurrection du Christ, du même auteur. J'ai passé un moment à la fixer droit dans les yeux, la Résurrection, le lendemain au musée de Sansepolcro, la ville natale de Piero della Francesca. Je n'ai plus besoin de préciser que j'ai galéré un moment pour le trouver. J'ai pris quelques notes sur le genou, ça vaut ce que ça vaut mais c'est toujours mieux que rien. Le Christ y apparait imposant et plein de détermination. Le paysage hivernal, désolé et dépouillé à droite, devient, à gauche, printanier, souriant et serein. Le soldat vu en raccourci sous l'oriflamme est considéré comme un autoportrait de Piero. Le Christ a la puissance d'un guerrier, avec le pied vigoureusement posé sur le sarcophage et sa silhouette athlétique et élégante, rythmée par une ligne verticale imaginaire qui va de l'arête du nez aux parties génitales, qui ne sont malheureusement et comme d'habitude pas représentées. Son visage, solennel comme une icône, est cependant réaliste et marqué par la douleur. L'organisation spatiale et la construction des volumes obéissent à un canevas géométrique rigoureux.
J'étais à Arezzo il y a trente ans et je n'ai jamais oublié les fresques, pourtant alors en une triste condition. C'est Marie, une catho anorexique que j'ai rencontrée par hasard à Garches début janvier, alors que je me remettais d'un accident liquide sans gravité, qui m'a donné l'envie irrépressible d'y retourner. Je savais que la restauration avait duré quinze ans. Je savais que ce serait un choc tel que ceux que j'ai eu le bonheur ou le malheur d'éprouver quelquefois durant ma vie. Grand Canyon, le Taj Mahal, Monument Valley, Auschwitz hélas, les momies de Palerme, et plus récemment, la tapisserie de Bayeux.
Sur Piero della Francesca je sais deux choses. Qu'il a été l'inventeur majeur de la perspective, et il consacra d'ailleurs les vingt dernières années de sa vie à l'étude de la géométrie. Et surtout, qu'il était athée. Je l'ai lu autrefois dans le Guide Bleu, qui était encombrant et austère, mais qui était rédigé par des universitaires, et c'est sans doute pour ça qu'il n'existe plus. Je crois que ce sont l'angoisse et le désespoir d'un monde sans Dieu qui ont fait de Piero della Francesca le peintre religieux le plus fascinant de tous les temps.
Etre ou ne pas Étretat. A Fécamp tout fout le camp
Les falaises, on peut y passer deux heures à l'aise. Il y a l'amont et l'aval. L'aval comme Laval Pierre, avec son célèbre Les enfants aussi. Comme le dormeur de la val. Nature berce le chaudement. Il a froid. Il a deux trous rouges au côté droit. Le vingt mars 1995 j'ai mis ça dans les petites annonces de Libération.
La seconde falaise, j'ai retenu trois choses, par importance décroissante : qu'on peut y aller en voiture ; qu'il y a une chapelle qui est le point de rendez-vous du samedi soir des jeunes gens de la cité, qui marquent joyeusement leur passage en y abandonnant une quantité impressionnante de canettes de bière et de bouteilles de vodka ; enfin que c'est là et pas ailleurs qu'il faut immortaliser l'instant par une photo souvenir où se dressent fièrement à l'arrière-plan l'arche et l'aiguille creuse de la première falaise, qui n'est accessible qu'à pied, ce qui ne manque pas, j'en ai fait l'expérience, de faciliter la digestion. Ce que précisément nous fîmes. Émerveillement de tous les instants, délicieuses sensations de danger et rafales de photographies insolites. D'abord il y avait un golf. Les Japonais et les autobus troisième âge de Chasseneuil du Poitou et d'Argenton sur Creuse étaient en extase. Je regrettais moi de ne pas être venu avec un fusil de chasse. Des parents inconscients avaient confié pour l'après-midi à sa mamie un enfant de sept ans fermement décidé à ne se diriger que vers les zones les plus dangereuses. Je l'ai aperçue la dame en redescendant et lui ai dit toute ma sympathie. Elle était en pleurs et avait enfin réussi à immobiliser l'enfant à terre. Merci, Merci Seigneur, il est en vie. Monsieur, je vous en supplie, je n'en peux plus, appelez les pompiers.
Dans un autre registre, un attroupement s'était formé autour d'un jeune couple qui s'était positionné, c'est le mot, à un endroit des plus stratégiques, deux mètres avant de tomber. Ils se livraient avec enthousiasme à de spectaculaires massages fessiers, à des évaluations poussées de leur domaine génital, et ce tout en procédant à des explorations de glottes approfondies. Je n'aurais pas dû, mais je n'ai pas pu m'empêcher de les interrompre un instant. Vu la hauteur de la falaise, leur ai-je dit, vous devriez vous limiter au missionnaire. Et vous mettriez une soucoupe, vous pourriez ce soir vous offrir une chambre d’hôtel, au lieu d’être obligés de baiser en plein air.
Ah tout de même, que je le dise avant d'oublier, la falaise d'Étretat est chère à mon coeur. C'est ici qu'en 1986 j'ai proposé à Dominique d'être le père se son futur enfant. Il faut dire qu'on était ensemble depuis un an, et que je n'étais pas certain qu'il y en ait un second. Toujours est-il que trois mois plus tard, alors que nous passions le weekend dans la maison de campagne d'une de ses amies, une teutonne particulièrement redoutable, occupée ce matin-là à plumer un canard immangeable, Antoine fut conçu dans un champ de maïs. Sabine et Émilie sous une couette, à Vézelay, un après-midi qu’il tombait des rails de chemin de fer. Quand la basilique est inaccessible faut bien s’occuper. Et la colline sacrée ce jour-là voyait double.
L'incontournable achat de magnets et de cartes postales s'est déroulé au marché couvert. Dans un premier temps un septuagénaire visiblement peu porté sur la fréquentation des touristes m'a dit péremptoirement : Cà, c'est pas de chez moi. Parisien, je présume ? Poitevin, j'ai répondu, légèrement vexé. Je m'excuse platement, c'est des choses qui arrivent. Pour vous dire, la semaine dernière, à Beauvais, j'ai essayé d'acheter des cartes postales dans une agence de voyages. Rectification néanmoins faite, je me suis représenté et lui ai dit que je lui laissais les enveloppes à condition qu'il me fasse vingt pour cent. Mais comment donc, a-t-il ricané, je vais même vous laisser la boutique, vu que c'est l'heure de l'apéro. S'en est alors ensuivi une conversation passionnante, argumentée et interminable sur les mérites comparés de l'alcoolisme en milieux rural et urbain. Moi qui ai excellé dans les deux, j'étais plus qu'à l'aise, Blaise. Passionnante cette conversation au point que la file d'attente a bientôt atteint cinquante mètres et que la mort dans l'âme mais cependant affamés nous sommes allés déjeuner.
A la Taverne des deux Augustins, précisément, la plus ancienne et la plus vaste brasserie d'Étretat. J'ai trouvé mon bonheur avec des huîtres. Par curiosité je suis allé consulter les commentaires sur le site. J'ai trouvé deux écoles de pensée : les meilleures moules de l'ouest pour les uns, les pizzas les plus dégueulasses de France pour les autres. Étrange qu'en Normandie on ne soit pas très doué pour la cuisson des pizzas, encore plus étrange que les clients éprouvent le besoin de l'écrire. Mais dès que j'aurai le temps, j'ajouterai le mien, de commentaire : les huîtres sont excellentes, et ne rater les chiottes sous aucun prétexte. Car j'y suis allé, forcément, trois litres et demi d'eau par jour ont des effets secondaires redoutables et contraignants, voire douloureux. En encore, nous autres on a la chance de pouvoir pisser en plein air à peu près partout, si l'on excepte la tombe du soldat inconnu et autres babioles. C'est ce qui de tout temps a fait la supériorité de l'homme sur la femme. J'ai donc pénétré et apostrophé un garçon légèrement, on ne me la fait pas, épris de boisson. Où pisse-t-on ? A votre gauche. Sur le bar ? Si vous voulez, mais vous allez rater quelque chose. Vous êtes artiste ? Oui. Peintre ? En bâtiment, oui, absolument. Alors vous allez voir, c'est un professionnel local qui a fait ça. Et en urinant j'ai vu. Ca était une toile qui occupait toute la porte d'entrée des lieux et qui conjuguait de manière incompréhensiblement harmonieuse paysages marins et scènes de la vie campagnarde.
Mais adieu toilettes de musée, le Clos Lupin nous attendait. C'est la maison de Maurice Leblanc dont le Arsène Lupin a enchanté mon adolescence et c'est merveilleux et il n'y a personne. J'ai tout lu, absolument tout lu. En sortant j'ai signalé au charmant personnel de l'accueil deux points fondamentaux. La dernière couverture en date des éditions du Livre de Poche est absolument hideuse. Et surtout, François Truffaut a utilisé le nombre 813 plusieurs fois dans ses films. J'ai d'ailleurs trouvé postérieurement sur Internet le recensement d'un érudit.
Sans s'être expliqué sur le tic 813, Truffaut a confié son admiration pour le roman "813" de Maurice Leblanc, où ce nombre énigmatique est la clé d'une cache ménagée dans une horloge, cache s'ouvrant lorsque les aiguilles indiquent midi (1+3+8) et que sont enfoncés simultanément les picots correspondant aux heures 1-3-8.
Dans La Peau douce, Jean Desailly et Françoise Dorléac deviennent amants dans la chambre 813. Dans La mariée était en noir (1967), la justicière Julie téléphone avant de prendre son avion, tandis que des haut-parleurs annoncent le décollage imminent du vol 813. Dans Fahrenheit 451 (1966), les principaux personnages habitent le bloc 813, et le héros Montag est fiché sous le numéro 381 813. Lorsqu'il rencontre l'héroïne, celle-ci lui demande "451 ? Pourquoi pas 813 ?" Deux ans après La Mariée était en noir, Truffaut a adapté un autre roman de William Irish, La Sirène du Mississipi, où il y a aussi une citation 813, à savoir une inscription au-dessus du lit où Marion se prépare à accueillir amoureusement son mari. Dans l'autre film où Truffaut a fait jouer Deneuve, Le dernier métro (1980), il lui a aussi donné le nom de Marion. Le film abonde en citations 813, mais elles sont toutes orales, la dernière étant la voix off de Truffaut lui-même énonçant que le mari de Marion est resté caché 813 jours et 813 nuits dans la cave de son théâtre.
J'ai quelques menues connaissances sur François Truffaut. J'ai vu facilement quarante fois Jules et Jim et La chambre verte, et Les aventures d'Antoine Doinel me sont assez familières. Oui, l'amour fait mal. C'est une joie, c'est une souffrance. Comme de grands oiseaux il plane au-dessus de nous, il s'immobilise et nous menace. Je veux vieillir avec Sabine, et les petits-enfants de Sabine. La figure doit être achevée. Les films sont des trains qui foncent dans la nuit et ne s'arrêtent jamais. La fellation fut servie par une call-girl bien excitée.
Il nous fallait enfin rallier Fécamp. Fécamp, c'est un port avec une belle plage un peu venteuse. On a vu un jeune couple qui faisait en plus soft la même chose que celui d'Étretat. Mes compatriotes ne pensent qu'à baiser, moi aussi mais je ne peux plus, je le note et je ne m'en félicite pas. Mais surtout, à Fécamp il y a le Palais Bénédictine. C'est seulement quand j'ai vu, à l'entrée, deux dames, la quarantaine, essayant de comprendre le fonctionnement d'un éthylotest, que j'ai compris que c'est, plus qu'un palais, une distillerie avec bien entendu dégustation gratuite. Et même que, fait rarissime, j'ai été peu agréable avec la caissière et m’en suis par la suite voulu. J'ai par contre photographié toutes les affiches, on se console comme on peut.
La Bénédictine est pour moi le parfum de mon enfance. Lorsque, dix-huit mois avant ma retraite, je fis mon pot de départ, je demandai à Isabelle, pour qui j'avais beaucoup d'amitié, et qui tenait mais ne tient plus la brasserie Aux coteaux d'Émily, bistrot que je préférais nettement à mon bureau, d’acheter une bouteille de Bénédictine et d’afficher un petit texte que j’avais écrit la veille.
Cette bouteille de Bénédictine n'est pas ici par hasard. Je souhaite vous expliquer la raison de sa présence. Je vous recommande de la consommer avec modération, d'une part pour qu'il y en ait pour tout le monde, d'autre part parce que c'est un peu raide. Cela dit, une liqueur fabriquée par des moines ne peut pas faire de mal. En juillet 1940, mon père, simple soldat, et ses camarades d'infortune, établirent leur campement dans une clairière proche de Strasbourg et attendirent patiemment l'arrivée des Allemands. Or, il arriva une camionnette chargée de bouteilles de Bénédictine destinées à l'état-major, qui hélas s'était perdue en chemin. Elle n'alla jamais plus loin que le campement. Mon père, les chauffeurs et les soldats mirent immédiatement en application le célèbre dicton de la guerre de 14 : c'est toujours ça que les Boches auront pas. De fait, quand les Boches arrivèrent, quatre jours plus tard, il ne restait plus une goutte de Bénédictine. Le désarmement de la vaillante Armée française fut relativement aisé. Il fut par contre beaucoup plus difficile de la réveiller et de la faire se tenir debout. Après quoi, mon père partit passer cinq ans de vacances du côté de la Westphalie. La guerre et la captivité en somme lui volèrent six ans de sa jeunesse. Je suis né en 1949. Mon père n'aimait guère évoquer ses souvenirs militaires. Il aimait cependant citer Paul Reynaud déclarant : Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts, ainsi que : La route du fer est coupée. Mon père était également très fier de n'avoir jamais tiré un coup de fusil de toute la guerre, certain ainsi de n'avoir tué ni blessé personne. Il racontait aussi parfois comment les ouvriers allemands donnaient en cachette du pain et des pommes de terre aux prisonniers travaillant en usine. Et c'est tout. La souffrance, les privations, il ne m'en parla jamais. Mais aussi loin que ma mémoire remonte, il y eut toujours à la maison une bouteille de Bénédictine. Dès ma plus tendre enfance mon père institua un rituel pour le déjeuner dominical, consistant à tremper un sucre dans son verre de Bénédictine et à me l'offrir, tandis que ma mère, qui a vécu 90 ans sans avoir jamais bu une goutte d'alcool, se voilait la face en signe de désolation. De plus, je fus assez rapidement dispensé de sucre. La Bénédictine, ça se boit pur et sans glaçons.
La bouteille de Bénédictine est sur ma bibliothèque. Vide hélas.
Si jav'Assise j'aurais v'nu quand même
D'abord et que je le dise tout de suite, jamais plus je n'évoquerai le lac de Trasimène. J'y suis passé involontairement. C'est une atrocité qui persiste à provoquer chaque nuit des cauchemars récurrents. Et quand Dominique a cru bon de me dire qu'il est encore plus beau que le lac d'Annecy j'ai fait une crise de nerfs. La seule chose qu'il a de positif, le lac de Trasimène, c'est qu'on peut en faire le tour sans pratiquement jamais le voir. Sauf lorsqu'on a le malheur, ce fut mon cas, de s'attarder dans l'une des deux bourgades ignobles où on peut le photographier. J'ai eu droit aux deux. Ah il y a bien des îles, aussi, et la principale est encore plus déserte que les autres, à l'exception de quelques ruines dépourvues de tout intérêt. Seuls des botanistes du CNRS et des chasseurs de papillons déments osent s'y rendre, en barque. Certes il y a un ferry. Nous l'avons attendu, le ferry, pendant une éternité, jusqu'à ce que le charitable limonadier de l'embarcadère nous apprenne que le capitaine était en grève depuis trois mois. Et je ne pouvais plus m'empêcher en attendant Luc Ferry de penser à Stromboli. Je voulais y aller et je veux encore, mais quatre heures de bateau, au départ de Cefalu, pour aller aux îles éoliennes quand on n'a qu'une demi-journée devant soi, c'est un peu juste. Mais je ne peux pas me résoudre à abandonner l'idée d'un éloignement et d'une solitude aussi majestueux, non plus que de la descente du volcan, pas la montée quand même on n'est pas des bêtes, aux aurores sous une pluie de flammèches. Je garde ça pour l'instant dans mes rêves. Stromboli le film, que Sabine m'avait tant vanté, j'ai fini par le voir. C'est bien, mais Ingrid Bergman réparant les filets d'un pêcheur de thon mal rasé, c'est un peu dur à avaler. Pourquoi pas Ava Gardner ? Je sais bien que Rossellini était amoureux, mais tout de même.
A présent, quitte à jamais ma pensée, lac de Trasimène maudit, et ne parlons plus que d'Assise. Qui se trouve à vingt-cinq kilomètres de Pérouges, où nous avons passé deux nuits. Parce que moi les voyages je les prépare. Pour ne donner qu'un exemple, l'an dernier, c'est seulement après une évaluation très précise des kilométrages que j'ai compris que l'étape idéale serait Boulder, Utah. J'ai réservé immédiatement, malheureusement à Boulder, Colorado. Dominique a découvert ça le jour d'avant le mauvais Boulder et j'ai perdu 150 dollars.
La priorité des priorités, donc, était la stratégie de sélection de l'hôtel. Un raisonnement implacable et d'une extraordinaire minutie aboutit à un désastre qui dépassa toutes mes espérances, mais que j'analysai immédiatement afin d'être certain qu’un tel malheur ne se reproduise pas. Petit un, Assise pas question. On en verra assez à la basilique, des pèlerins, c'est pas la peine en plus de prendre le petit déjeuner avec. Ce sera donc Pérouges. Petit deux, le centre ville de Pérouges, la circulation automobile est infernale. On va aller à la campagne, ça nous changera pour une fois. Grand trois, en moins de cinq minutes j'ai réservé un établissement des plus typiques et pittoresques de la campagne ombrienne, à cinq minutes du centre ville, accès d'une simplicité biblique, où règnent en permanence calme et volupté. Et voilà le travail. Venons-en aux résultats. Grand un, on s'est trouvés en perdition à la gare de Pérouges. Dominique est partie aux renseignements et pendant que je cherchais désespérément et en vain l'hôtel sur le plan détaillé que je venais d'acheter, on lui a dit chez Hertz que c'était de l'autre côté de la ville et que l'unique solution était qu'elle prenne un taxi et que je suive. Ainsi fut fait et tout s'est bien passé, sauf qu'à un feu rouge sur une pente à dix-huit pour cent j'ai calé quatre fois et que j'ai failli être lynché par la populace. Pas de quoi en faire une montagne, je connais des cas analogues, tel celui de Sabine qui a déjà été recalée six fois. Enfin, une demi-heure et trente-cinq contournements de monuments historiques plus tard, l'hôtel on y était. J'ai serré le chauffeur de taxi dans mes bras et au diable l'avarice je lui ai donné vingt euros de pourboire. Grand deux, l'hôtel en effet était à la campagne et très près du centre ville. De la même manière que Neuilly est très boisé et très proche des Champs-Élysées. Grand trois, il s'avéra instantanément que c'était un hôtel comme il y a le même, pour 150 euros, dans toutes les villes du monde, et qui peut se targuer d'une standardisation irréprochable dans tous les domaines. La clientèle, bien entendu, les seuls touristes c'était nous, perdus au milieu de cadres sup impeccables, Iphone à l'oreille et Ipad sur le genou. J'ai regretté l’absence de pèlerins.
En fait de circulation infernale le centre ville de Pérouges est piétonnier et bourré d'hôtels et de restaurants. Il y a une place magnifique et unique en son genre, comme d'habitude, d'où part une rue très large et animée, tout au long de laquelle, au milieu, on découvre quantité de terrasses de restaurants, toutes plus pimpantes les unes que les autres. J'ai immédiatement procédé à la prospection, qui s'est avérée fort utile puisque, les deux soirs, nous avons dîné ailleurs. La rue se termine sur un jardin public avec de belles statues et un panorama à tomber par terre. Et un hôtel restaurant, où nous avons diné. Dominique et moi parfois aimons nous encanailler, d'autant qu'en Italie où qu'on aille ce n'est jamais cher. Donc, La Rosetta que ça s'appelle. Cour intérieure ravissante, avec palmier et balcon, décoration sublime, service cinq étoiles et du homard dans les nouilles. L'orgasme fut atteint lorsqu'arriva le café, accompagné d'un gigantesque plateau présentant, dans des récipients tous aussi beaux que variés, la collection de toutes les variétés de sucres disponibles en ce monde. Nous n'avons découvert qu'en partant que La Rosetta est le quartier général du Rotary Club. Ils se mouchent pas du coude, au Rotary Club, j'ai dit songeur à Dominique avant d'aller rejoindre en taxi notre auberge campagnarde à tarif modéré.
Le lendemain matin, deux arrêts pipi exceptés, ben oui le café faut bien qu'il parte quelque part, nous avons effectué d'une traite les vingt-cinq kilomètres qui séparent Pérouges d'Assise. J'avais dit à Dominique, prépare-toi à un traumatisme grave. Il y a deux kilomètres de bondieuseries, pire qu'à Lourdes et à Lisieux réunis, où je ne mettrai jamais les pieds, fais-moi confiance. Et surprise, il en reste très peu, des bondieuseries, aux abords immédiats de la basilique. Elles ont été reléguées sur les parkings. Il y a même des souvenirs un peu rigolos, j'en ai acheté plusieurs en cadeaux, d'abord pour moi, ensuite pour les enfants. Une bonne soeur et un moine sur une Vespa, un moine dans une brouette, buvant une pinte de bière, et tiré par une bonne soeur, et on peut sans peine imaginer le stock. Je suis aussi tombé sur un faux moine, on lui met un euro dans la besace et on se fait photographier avec, c'est chose courante dans les grandes villes, mais Dominique persiste à penser que c'était un vrai.
A l'entrée de la basilique, ce qui m'a frappé au premier abord, c'est une gigantesque plaque à la gloire de Popaul. Putain, il est partout, le Paulo, me disais-je en le photographiant. Chacun ici bas porte sa croix. Alors il y a une église inférieure et une église supérieure, je n'invente rien. Reliées entre elles par deux escaliers, très intelligemment exploités par les autorités ecclésiastiques, l'un pour descendre, l'autre pour monter. Les touristes non moins intelligemment font exactement comme ils le sentent. Douze scusi par marche ça ne les dérange pas. Évidemment il y avait, de manière industrielle, des visites guidées par des moines endoctrinistes. Plus surprenant, et en quantité pléthorique, des carabiniers nullement confits en dévotions, et chargés selon toute vraisemblance de contenir les extases mystiques potentielles des fidèles. Et enfin il y avait des personnes qui de toute évidence priaient. Ils prient pour quoi, m'a demandé Dominique, qui a été élevée chez les soeurs, et qui se souvient très bien des quatre messes obligatoires de l'année, mais qui ne sait plus lesquelles c'est. De toute façon elle les a toutes ratées sans désemparer depuis plus de trente ans. Pour Berlusconi, qui est un catholique d’élite. Au point qu’il passe son temps à essayer de convertir Ruby, hélas musulmane, et ce malgré son jeune âge.
A l'église inférieure il y a Giotto. Ou plutôt le puzzle de Giotto. Ils ont mis dix ans les experts à le reconstituer, après le tsunami. A mon avis, qui n'engage que moi, ils auraient eu plus vite fait de coller les morceaux en vrac sur les murs. Ca aurait fait du Picasso, c'eût été moderne et tout le monde aurait été content. Sauf peut-être Giotto, s'il nous voit. Et là, au premier étage, stupeur et consternation, que vois-je ? Un crucifix de Cimabue. J'ai explosé. Putain de merde, encore lui. Il est moche à chier, son crucifix. Il en a semé partout, sauf au-dessus de mon lit, j'ai un bol d'enfer. Il savait faire que ça, des crucifix, ce connard! Je vais me plaindre de ce pas. J'ai réveillé un moine en pleine prière. Che è, questo crucifico di Cimabue ? E una vergogna, Cimabue questo imbecile ! Crucifico daqui non lo credo ! Anche, Piero della Francesca dov'e ? E maravilioso, Piero, e come Leonardo, come Michelangelo. Porca Madona ! Porco Dio ! Le moine est alors apparu contrarié. Figlio di puta ! Piero della Francesca e in inferno, con Michelangelo. Uno finocchio, questo brutto ! E anche lei, lei stronzo. Fanc... fanc, scusi signor. Fuori subito, o fa venire gli carabinieri. Grazie prego. Dio e con lei ! Je suis donc sorti sans perdre un instant de la basilique pendant que Dominique est restée contempler les fresques dans le moindre détail deux heures de plus et que j'ai bu douze cafés et failli boire une bière.
J'ai consulté plus d'une fois des récits de voyage. Ceux de Maupassant par exemple sont admirables. Ceux de Gide en Algérie par contre, je n'y tiens pas trop. J'ai ainsi noté qu'il est rare que les récits indiquent ce qu'on a failli voir, et encore plus rare ce que l'on n'a pas eu envie de voir. Moi par contre je trouve ça plutôt nécessaire. Par exemple, ce que j'ai eu envie de voir, c'est, dans la crypte de Santa Maria degli Angeli, le merveilleux polyptique en bois vernissé, de Andrea della Robbia, qui pourtant d’habitude faisait plutôt dans la céramique. Mais il était douze heures cinquante huit et c'était fermé. Les Italiens sont très pointilleux sur les horaires de fermeture, nettement moins sur les horaires d'ouverture, qui sont, tout particulièrement dans les bâtiments religieux, des plus aléatoires. Et, je l'ai noté en 2003, les Siciliens sont comme toujours les plus forts. Après une matinée de labeur harassant, le travailleur sous-payé fait une pause d'au bas mot quatre heures. On mange, on fait l'amour et on dort. Après quoi on retourne sur le lieu de travail, et on s'occupe avec de l'Internet pornographique ou de la messagerie graveleuse jusqu'à ce qu'il soit l'heure de rentrer à la casa. Et cela étant fait, on s'écroule sur le canapé et on regarde le foot pendant que la Mamma fait cuire les nouilles. Pour en revenir aux récits, ce que je n'ai pas du tout eu envie de voir, c'est tout le reste d'Assise, et plus particulièrement Santa Maria Maggiore. Il aurait fallu attendre le prochain samedi soir vingt et une heures quinze, pour le rosaire et la procession aux flambeaux. Matériellement on ne pouvait pas.
On s'est donc dirigé vers l'Eremo delle Carcieri, où ne séjourna jamais San Francesco. Les carcieri je ne sais pas ce que c'est mais en revanche les carciofi je sais. C'est les artichauts et il ne faut pas confondre. J'ai trouvé, merci Seigneur, durant la montée qui était raide, un restaurant où je me suis fait servir une assiette toscane, comprenant charcuterie, olives, champignons, salades diverses, fromage et dessert étouffe-chrétien. Pas de problème, je ne suis pas chrétien. J'étais cependant un peu inquiet en voyant passer par paquets de douze des individus de tous âges et de tous sexes, grimpant la côte avec allégresse. Je m'en suis ému. Tu les vois, ces cons ? Faire de la grimpette par une chaleur pareille. Tu vas voir qu'on va tous les retrouver à l'Eremo. Ah bon Dieu de merde, ils me coupent l'appétit. Eh bien non, en fait à l'Eremo on s'est retrouvés quasiment tout seuls. Petite bâtisse inoubliable, toute en piécettes minuscules et austères, pleine de couloirs longs et tortueux, débouchant dans la lumière d'une verdure incroyablement paisible. Et voilà mon Dieu que je commence à me ridiculiser en singeant Chateaubriand, il faut de toute urgence que je me discipline. Parce que Chateaubriand, honnêtement, je n’y tiens pas plus que ça. Il n’avait du reste pas prévu, René, dans ses Mémoires d’outre-tombe, qu’un jour Sartre pisserait sur la sienne, à Saint-Malo et à marée basse. C’est utile de le savoir parce que si on se fait coincer sur l’ilot à marée haute, on y passe la nuit. Et je me suis toujours demandé si l’instant, le jet, le secouage de l’existentialiste objet avaient été immortalisés. Par Simone, pourquoi pas, qui n’était peut-être pas si rangée que ça. Un tel document, exposé au musée de la connerie, vaudrait aujourd’hui une fortune. Mais ce jour-là dans la forêt d'alentour j'ai marché cinq cent mètres à l'aller et autant au retour. C'est pas prudent, s'inquiétait Dominique. Mais il y avait un groupe de trois statues en bronze. Je les ai longuement contemplées et j'ai oublié de les photographier. En quittant l'Eremo je me disais que San Francesco très certainement s'y serait senti très bien. Moi aussi. Mais pas plus de trois jours, je le crains.
Sur le chemin du retour on a fait une halte à Bevagna, qui n'est pas une métropole tentaculaire. Pendant que Dominique inspectait les ruelles je me suis précipité sur l'unique bistrot ouvert, et me suis posé avec un indicible bonheur, immortalisé peu après et discrètement par Nikkon, à côté du banc des abonnés, occupés à exprimer leur vision du monde à la propriétaire, confortablement assise elle aussi au grand air, et peu soucieuse de n'avoir pour clients que des retraités consommant un café par jour. J'ai alors repensé à une petite anecdote sicilienne. Revenant un quinze août de Cefalu, nous nous sommes trompés de station et nous sommes retrouvés dans une petite ville désertée répondant au nom de Bagheria, à cinq kilomètres de Palerme. Antoine partit à pied en suivant les rails. Dominique est allée demander en anglais au chef de gare, qui dormait, où nous pouvions trouver un taxi, quant à moi je me suis approché prudemment d'un banc occupé par trois vieillards placides et économes de paroles. Ayant immédiatement saisi l'ampleur du drame l'un deux m'a dit: Taxi ça peut se faire. Il est où le taxi ? Vous êtes assis dessus, c'est ma voiture. Vingt minutes plus tard on était dans la piscine. Oui, donc, pour finir on a dîné à Todi, c'est loin d'être immense. C'est bientôt la fin du voyage, j'ai dit amoureusement à Dominique, y'a pas un rat, je vais pas m'emmerder jusqu'à la fin des temps avec leur stationnement à la con. Ca m'a valu à peine cinq cents mètres plus loin de faire la connaissance d'une paire de carabiniers pas vraiment désagréable mais pas excessivement chaleureuse non plus. Celui de gauche me faisait signe de passer, celui de droite de m'arrêter. Dans le doute, pendant qu'ils se concertaient, j'ai attendu et Dominique s'est jetée inutilement sur les documents afférents au véhicule. Le carabinier n'en avait rien à foutre et la conversation fut brève. Vietato andare nella citta. Non lo sapeve ? Mille scusi commandante, non ha veduto niente perche sono uno straniero. Francese, capitto ? Sono il figlio di François Mitterrand. Molto importante, famoso, vero ? Alora que devo fare per favor ? Ritornare nell parcheggio e doppo il funiculario per la citta. Grazie tanto, commandante. Prego Buonviaggio.
Je retiendrai qu'on appelait San Francesco di Assisi Il Poverello, ce dont tout le monde de nos jours ne peut pas se vanter. Il donnait tous ses sous aux pauvres. Moi pas tout, mais quand même un peu. Tous les Arabes du quartier me doivent du pognon, et miracle, parfois ils me le rendent. Des fois aussi ils le convertissent en café ou en Kronenburg, mais je m'en fous. Et parfois, c'est à peine croyable, quand j'ai trop la flemme d'aller au distributeur qui est à trois cent mètres du bistrot, ils m'en prêtent. Et bien entendu, je tiens en permanence un bureau de tabac free of charge. Je ne suis pas un saint, mais pas loin. San Francesco parlait avec les oiseaux. Pas moi mais j'aurais bien aimé. Les Fioretti de saint François est le seul film de Rossellini que je n'ai pas oublié et qui m'ait vraiment plu. Il faut dire que ni Alain Delon, ni Jean-Paul Belmondo et encore moins Rocco Siffredi ne sont au générique. Je les ai vus une seule fois, Les Fioretti, j'avais treize ans et je venais de dire à l'aumônier que je renonçais définitivement au catéchisme, parce que je venais de me faire athée. Mon petit, m'a-t-il dit, ce sera comme tu voudras, mais c'est un jugement peut-être un peu prématuré. Seuls les imbéciles ne changent pas d'avis et tu as toute ta vie devant toi. Cinquante ans ont passé et je n'ai pas changé d'avis. Il me reste quelques années et je pense que j'échapperai au statut peu enviable d'imbécile. Mais rien n'est jamais certain.
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